Adoption, annonce  ! ! !


Kristina est un magnifique petit bébé âgée de trois ans !

Elle a perdu ses deux parents à cause du Sida.
Elle est séropositive et elle a besoin de parents pour prendre soin d'elle !
(contactez l'orphelinat de Tchimkent, Sud-est du Kazakhstan)



Kristina is a wonderfull 3 years old babie !
She lost her two parents because of AIDS
She is HIV-positive and needs parents to take care of her !
(contact the orphenage of Tchimkent, South-east Kazakhstan)

















Kanat, devant la grande mosquée de Tchimkent





L'intérieur de la grande mosquée





L'hôpital des maladies infectieuses d'Astana,
dédié aux enfants




La matérnité N°3 d'Almaty,
dédiée aux femmes enceintes séropositives






Le 15 Novembre, deux mois tout juste après le départ du Tour, la télévision Kazaque a voulu en savoir plus sur les raisons d'une telle initiative.


   
La veille, j'ai été invité par l'hôpital spécialisé dans la
prise en charge des enfants séropositifs de Tchimkent.
Nous avons discuté, avec les parents,
certains adolescents et le corps soigant.

Certains parents voyaient un séropositifs adulte,
vivant, pour la première fois !
Au Kazakhstan la censure est encore très forte
 concernant ce genre de sujet "délicats" disent-ils...

    


 















































































Les créations artistiques des enfants de Tachkent, Ouzbékistan






La grande mosquée de Tachkent





















des femmes âgées, la grande place de Samarkand






La madrasat Alisher, Samarkand






Le tombeau D'emir Timour (Tamérland, Samarkand)




Les plafonds somptueusement décorés de Samarkand




Le tombeau du cousin du prophète des musulman,
samarkand

















La statue de l'Imam Al-Bukhari



La grande place des madrasat, Bukhara



La statue d'Emir Timour,  Tachkent












































































































Une famille soudée, face au Sida




Ils vivent dans des conditions impossibles







































La prière du vendredi, près de la capitale




La grande mosquée d'Achghabat,
l'une des plus grande au monde




La statue en or du président,
sur la place centrale de la capitale





La tenue traditionnelle des hommes turkmènes






La marché de Mary, la ville d'Abraham




















































































































































































La citadelle des femmes, près de Mary






La citadelle des Hommes, près de Mary
Le jeune homme qui voulait se marier devait lancer une pomme assez fort, pour qu'elle atteigne la citadelle des femmes situé non loin de là







La palais des derniers des souverrains du Turkestan






Des femmes balouches






Un mariage Balouche







L'antique citée des Pars




















Photos de Ludovic Zahed © 2008 | All rights reserved












































































































































































































Because AIDS orphans and HIV+ children deserve to laugh and be loved like any other child !


Les textes de ce blog, retravaillés,

sont désormais disponibles aux éditions l'harmattan (cliquez ici)



Tout d’abord, en ce début d’année 2009, je tiens à vous présenter tous mes vœux de bonheur, de santé, de prospérité, pour vous et vos proches ! 

Je tiens également à m’excuser de n’avoir pu de nouvelles avant aujourd’hui. En effet, la censure des pays du Caucase, en Iran, ainsi que les connexions Internet médiocres voir inexistantes au Pakistan, m’ont tout simplement interdit toute mis à jour 
(malgré de nombreuses tentatives).

Merci de votre soutien,
Très bonne année 2009 et très bonne lecture !

 




              Un commerce d'un nouveau genre, 

                            sur  l'antique  route  de  la  soie

 

« Et le cyclope demanda à Ulysse, qui avait beaucoup voyagé : qui es-tu ».

« Personne ! », cria Ulysse

(Homère, L’Iliade et l’Odyssée)

Les autorités russes m'ont enfin laissé sortir. Après plusieurs jours passés à vagabonder d'hôtel en hôtel  dans Tcheliabinsk, j'ai fini par trouver un établissement qui accepte de me garder plus d'une nuit, malgré mes soucis de visa. C'est un hôtel appartenant à l'état. Là encore le système semble bien rodé : ils vous empêchent de sortir du territoire, l'administration n'est ouverte que quelques heures par jour. Les trains qui quittent le pays sont tous programmés le matin. Ce qui veut dire que vous êtes obligé de passer au moins quarante huit heure sur place. Et ils le savent bien ! Quarante huit heures que vous passez à soutenir l'économie locale en dépensant votre budget à grand frais. Les hôtels ont tous cela en commun qu’ils sont très mauvais marché !

Quoiqu'il en soit, j'ai pu trouver cet hôtel grâce à un jeune étudiant russe. Lui et sa fiancée sont inscrits au championnat régional de patin sur glace. Un grand blond aux yeux bleus. C’est le russe typique, comme on l'imagine. Jeune et pourtant si désabusé semble-t-il à propos de cette « balshaya russia ». Cette grande Russie, qui semble-t-il est devenue une sorte de « private Joke » pour de nombreux russes. Je dois beaucoup à ce jeune Paul. Voyant ma détresse, il a passé plus d'une heure à faire du porte à porte dans tous les hôtels de la ville, traduisant en russe ma demande formulée en anglais. Ce samaritain bien intentionné m’aura parmi de passer les deux deniers jours de cette longue semaine, à la chaleur d'une chambre d'hôtel. J'ai couru pendant trois jours d'administration en administration. Les gens du peuple là encore m'ont été d'un grand secours. Ils m'ont immédiatement mis au diapason : « Nooon... Attention ! D'abord tu dis bonjour, s'il vous plait. Ensuite tu parles... Ensuite seulement. » D’ailleurs, les comptoirs sont fait de tel façon qu’on ne peut s’adresser aux fonctionnaires que si l’on se prosterne littéralement vers le bas de la grande bais vitrée, là où se trouve une minuscule fente, tout juste assez grande pour laisser passer quelques échos de votre voix. Ce n’est pas un hasard, tous les comptoirs, tous les comptoirs en Russie sont faits sur ce modèle disons… imposant, voir humiliant. Voilà, c'est simple pourtant. Une fois qu'on a compris qu'en Russie rien n'a vraiment changé. C'est toujours la tyrannie de la minorité, drapé dans le manteau de la majorité. Après un mois en Russie, le sort des centaines de milliers d'enfants du Sida s'explique mieux à mes yeux. Il n'en est pas moins révoltant. Tout est lié ! Pourtant la politique est bien la dernière de mes préoccupations. Toutefois, la langue de bois n’est pas mon genre non plus.

Aujourd'hui, après ce qui fut la première véritable galère de ces  deux mois de vécus en nomade, intenses en émotions, je perçois mes équilibres intérieurs restaurés. J'ai de nouveau le sourire facile, pour un rien. En cela, d’entre tous les encouragements celui de ma mère a été d’un réconfort inestimable ! « Quand j'ai vue ton blog pour la première fois, j'en ai pleuré ! C'est bien ce que tu fais mon fils ! Tous ces pauvres enfants... Continu, ne baisse pas les bras ! On est tous derrière toi !» C'est vraiment drôle, car c'est la toute première fois de ma vie que ma mère ne me demande pas de « rentrer à la maison ». Sans relâche et durant les trente ans de mon existence passée, à la vue du moindre danger hypothétique, ma mère a eut pour habitude de se mettre automatiquement en position de mère poule, prête à couver ! Ma mère : « sans son amour, ans l'adoration qu'elle a pour nous, nous ne serions rien ». Je l'ai répété plusieurs fois à mes frère et sœur. Tout n'a pas toujours été rose. Mais l'amour de cette mère est incontestablement le socle de confiance et d’énergie vitale sauvage, sur lequel je jongle afin de construire l’équilibre de ma vie. C’est paradoxal, mais c’est l’amour éperdu de cette mère qui m’a aidé à construire cet iceberg glaciale et profondément ancré sur les abimes de mon existence, qui me permet aujourd’hui d’avancer sans même songer à ménager ma peine. L’amour de ma mère puis celui de ma sœur, et enfin le respect durement acquis et l’amour de mon frère ainé : ces sources d’amours et de respect sont devenues le phare de mes nuits, durant toutes ces années.

 

Nous sommes le vendredi  7 novembre 2008. Il est un peu plus de 18h. Les douanes russes et Kazakhs sont derrière moi ! Ils se sont tour à tour étonnés de voir autant de visas sur mes deux passeports français. Pourtant je suis passé, toujours sans bakchich : incroyable ! C’est ainsi que je partage ma cabine avec Hussein-al-din Karimov. Rien que ce non déjà, c'est toute une épopée. Je suis passionné par l'histoire de ces peuples de l'ancien Turkestan. Ce sont eux, pas les arabes, qui sont les véritables fondateurs de ce « vieil homme malade de l’Europe », que fut l'empire Ottoman jusqu'à la première guerre mondiale.

Hussein est un grand brun d'origine Ouzbek : mâchoire carrée, les traits fins, aquilins, les yeux en amende. « Toi tu as l'air de quelqu'un de bien », me lance-t-il sûr de lui, après bien au moins, allez... oui cinq minutes de discussion, pas plus. Il sort aussi sec de sa poche un bout de papier sur lequel il écrit soigneusement ses noms, prénoms, adresse, téléphone de bureau, du domicile... Cinq minutes en nouvelle Terre étrangère et me voilà déjà à des années lumières de notre bonne vieille Europe. Là, je suis dans une contrée dont l’histoire à été forgée par l’hospitalité mythique des peuples du Caucase. Pourtant, en raison de la domination soviétique sur toute la région, ici les gens parlent russe. Il n’en reste pas moins que l'Europe semble bien loin derrière moi. « Tu vas venir chez moi, à Tchimkent dans le sud est du pays. Nous avons une grande maison », me dit Hussein. « Ma femme te fera des grillades. Je te présenterais à mes deux enfants, mes frères et sœurs et leurs conjoins ». Je suis sincèrement touché. Soulagé aussi, comme si je ne ressentais plus cette nécessité vitale d'être en permanence sur le qui vive. Nous verrons bien si j'ai le temps de répondre à l'invitation d’Hussein avant mon départ du Kazakhstan.

Au réveil le lendemain matin, ce sont des steppes enneigées à perte de vue qui nous accueillent. Par l'une des fenêtres ouvertes du train, je respire à plein poumon un air nouveau. En moins de deux mois, j'ai finalement reliée l'Asie ! Nous arrivons à Astana en début d'après-midi, la grande ville du nord et capitale du Kazakhstan. Ce pays est très particulier. Ici il n'y a rien à perte de vue. C'est en partie de cela que le pays tire son charme. Pourtant, les kazakhs ont construit à Astana toute sorte d'édifices dignes des plus excentriques monarchies du golfe. Une architecture financée certainement grâce à la manne pétrolière et gazifière qui désormais coule à flot, depuis le sous-sol de ce pays grand comme cinq fois la France.

A Astana, je mène ma petite enquête sur la façon dont les femmes enceintes séropositives et leur enfant sont prises en charge. Puis, le lundi 9 novembre je parcours le pays d'Astana à Almaty, la seconde des plus grandes villes du pays et capitale du Kazakhstan jusqu’à la fin du siècle dernier. Dans le train qui me conduira bientôt à Almaty, je fais une courte sieste. La nuit tombe. La locomotive fonctionne ici aussi au charbon, eh oui. Elle crache derrière elle des nuée de feu follets rougeoyants qui illuminent la nuit de chaque coté du train. Dans une telle contrée, on leur accorderait aisément une volonté magique : les feus follets des grandes steppes Kazakhs ! Ils sont chacun l’incarnation de la mémoire, des rêvent et d’une perle de conscience de ces cavaliers nomades, fiers et sauvages, aujourd’hui disparus. Ma cabine est dans le noir, je suis seul. Par la fenêtre, j'observe ce paysage unique qui s'offre à ma vue. Nous traversons ces grandes steppes sous une Lune pleine. Le ciel est sans un nuage, tout juste quelques filets de brume glacée. J'imagine l'état d'âme de ces cavaliers kazakhs de l'ancien temps, face à tant de beauté, galvanisés par cette immensité. Communiant avec notre père le ciel et notre mère la terre, qui s'étend sous nos pieds à perte de vue. Je les imagine, je les vois galopant sous ces astres de toute éternité, aux cotés de notre train. Je m’endors en chevauchant des rêves de liberté.

 

Almaty se trouve au pied de montagnes hautes de plus de cinq mille mètres, comme la montagne Wistofka. Il est aisé d’imaginer le culte animiste que les premiers kazakhs ont pu voués à ces montagnes aux formes étonnamment pyramidales, verdoyantes, une rivière paisible sinuant entre elles. On voit ces montagnes au loin, depuis l'avenue Auezova. Elles sont également affichées en grand, un tableau de deux mètres sur quatre qui trône à l'entrée du centre de dépistage et d'étude épidémiologique de la république du Kazakhstan. Oui, ce genre de régime adooooore, jubile devant ce genre de noms à rallonge. Des noms qui emporte, qui embrigade, qui ensorcèle l'esprit : si le nom est aussi long, c’est forcément qu’il veut dire quelque chose ! Un nom qui ne saurait toutefois faire oublier le fait qu'ici au Kazakhstan, seul les enfants ont accès à un traitement gratuitement (soit un peu plus de deux cent enfants infectés par le sida, beaucoup plus selon les estimations non-officielles). Les autres personnes séropositives doivent se débrouiller seuls et faire avec l'aide des nombreuses ONG américaines qui occupent le terrain humanitaire ici, dans cette ancienne république communistes.

Alors, bien que les montagnes Wistofka fassent bouillonner mon imagination, je ne prendrais pas le temps d'aller y voir de plus près. Je n'ai qu’un court visa de transit pour le Kazakhstan. En revanche, je prends le temps de rendre visite à l'union des personnes vivant avec le sida : une confédération d'envergure nationale, crée par et pour les personnes séropositives. J'y rencontre notamment Nurali. Un homme d'une petite quarantaine d'année, président fondateur de la première association de jeunes séropositifs kazakhs (chapeau, quel courage dans un pays pareil !). Cela me rappel un peu ce que nous avions fait avec JHsplus en France, il a un peu plus de cinq ans maintenant. Mais sans commune mesure. Je rencontre également Pugee, un mongol charmant, fier d'assumer son homosexualité et sa séropositivité. Ces gens rencontrés au Kazakhstan sont véritablement adorables ! C'en est rafraichissant, après tout ces moments durs passés en Russie. Cela dit, le tableau dépeint ici à un air de déjà vu : conduites à risques, toxicomanie, prostitution, transmission de la mère à l'enfant. Les statistiques sont tout de même moins affolantes qu'au Nord de l’Oural. Elles figureront sur le rapport publié par l'association comme à chaque étape de mon parcours. Toutefois, il ne faut pas être dupe. Ici aussi tout est contrôlé par le gouvernement. La censure est telle que je ne peux même pas accéder à mon propre blog ! J'ai passé plus de trois heures hier dans un cybercafé pour en arriver à cette conclusion inéluctable. Au Kazakhstan, toutes informations concernant le sida ou les enfants séropositifs sont hermétiquement filtrées, strictement censurées. Déprimant ! Surtout lorsque je repense à tous ceux à qui j'avais promis cette mise à jour. Une fois mon enquête terminée à Almaty, je prends cette après-midi là le train pour Tchimkent : la dernière agglomération kazakhe avant l'Ouzbékistan. Nous verrons ce que fait l'état pour les enfants du sida là-bas.

 

Nous sommes le jeudi 13 novembre. Il est un peu plus de huit heures. Une lune pleine et rousse vient tout juste de se coucher à l'horizon. Note train entre en Gard de Tchimkent. Je suis accueilli à la descente du train par Kanat, président de l'association « protéger les enfants contre le sida » (l’association ne disposait pas d’un site Internet, c’est pourquoi je leur ai publié une page web qui leur est dédié.  J’en ferais de même pour d’autres associations rencontrées sur ma route, notamment en Ouzbékistan. Ces pages web sont consultables à l’adresse suivante : http://www.living-with-aids.org ).

                Kanat insiste pour me conduire chez lui, j'accepte. Nous petit-déjeunons en compagnie de sa femme Alia et de ces deux enfants, Aourjan et Baourjan. Ce sont des jumeaux âgés de trois ans. Baourjan le garçon est l'ainé. A la naissance, il a dû être admis en réanimation d'urgence. C'est là qu'il a contracté la maladie. A la naissance, rendez-vous compte ! Il y a trois ans, malgré la richesse du pays, les infrastructures médicales kazakhes étaient dignes du début du siècle. Les services de réanimation pédiatrique disposaient à peine d’une demi-douzaine de cathéters (seringue pour l’administration de soins par intraveineuse) pour la trentaine d’enfants présent en continue dans ce service. Le sang transfusé n’était pas traité, aucune mesure élémentaire d’asepsie n’était respectée. Les enfants ont été contaminés par centaines ! Au Kazakhstan, les statistiques officielles parlent de moins de 11500 personnes infectées par le VIH, dont moins de trois cent enfants. Un chiffre dérisoire qui ne prend pas en compte les personnes contaminées en raison de leur toxicomanie. Alors que l'on sait qu’il s’agit là de la principale cause de contamination dans ce pays. Notamment dans certaines villes minières du centre du Kazakhstan, où le trafic de drogue a rapidement et durablement remplacé le travail à la mine, après l'effondrement  de l'URSS. Ici toutefois, à Tchimkent les enfants ont officiellement tous été contaminés à la maternité.

 

Depuis ces tragiques évènements, le président Kazakh à promis que la censure serait en grande partie levée sur les questions ayant attrait au VIH/Sida. Monsieur est trop bon... Depuis, dans chaque grande ville du pays un hôpital flambant neuf a été construit, tout spécialement pour accueillir les enfants infectés. A Astana, Almaty, tout comme ici à Tchimkent, je les ai visités personnellement. Parfois j’ai dû pénétrer par la porte de derrière, avant d’être repéré par le personnel et introduit auprès du chef d’établissement. Même si les autorités ne reconnaissent pas l’ampleur du problème, ils ont au moins adopté certaines mesures afin de prendre en charge les enfants contaminés. Mais l’information à encore du mal a passé. D’après Kanat, bien des kazakhs pensent encore que le Sida est une malédiction et les personnes séropositives des pêcheurs. En effet, la Kazakhstan est un pays où la résurgence du sentiment religieux est importante, après des décennies d’interdiction de toutes formes de culte. Alors lorsque la télévision kazakhe entend parler de mon projet, ils me sollicitent pour venir expliquer devant les caméras ce que c’est que de vivre avec le Sida depuis bientôt treize ans. J’ai véritablement l’impression d’être pris pour un animal de foire. J’en ai presque honte. Tout en même temps que je suis heureux de pouvoir contribuer à combattre les tabous liés à ce virus.

Je tiens également une petite conférence devant les parents des enfants. Des parents qui sont parfois eux-mêmes infectés ; les mères en particulier, puisque l’allaitement est un des vecteurs de transmission du Sida, depuis la mère vers l’enfant mais aussi depuis l’enfant vers la mère. Cette maladie n’épargne rien, pas même l’amour d’une mère porté à son nouveau-nés. Il n’appartient qu’à nous de changer les choses ! Nul besoin de ce voiler la face, de lever le poing au ciel, d’en vouloir à la destinée. C’est nous, qui devons prendre en charge les plus démunis d’entre nous, de façon humaine et solidaire. Aujourd’hui, de manière générale nous vivons mieux qu’il y a un siècle, bien mieux. Mais les choses de l’existence ne sont jamais parfaites et il reste encore beaucoup de travail à abattre. C’est dans cet état d’esprit que j’entame mes propos devant toutes ces familles et ce personnel soignant, réunis là pour m’entendre. « Al-salam halaykoum, kormette atanallar. Mé nème attam Ludovic ». C'est ainsi que je me suis présenté en kazakh, comme m’a conseillé de le faire Kanat. Cet homme est futé, il est d’une rare intelligence pratique. Ce sont quelques mots de Kazakhs prononcés, je présume, avec un fort accent parigo. Je vois quelques sourires s’esquisser. L’atmosphère est plutôt détendue, c’est pour le mieux. J’entame une petite heure de présentation du projet du Tour du monde, avec l’aide d’une interprète bénévole (un professeur d’anglais à Tchimkent, qui s’est portée volontaire). Ce sont les infirmières qui posent les premières questions. Certaines sont d’ordre médicale, d’autres sont beaucoup plus personnelles, du genre : « et vous êtes marié… ? ». Les rires fusent dans toute la salle. Je sens que mon pari est gagné ! Le Sida, il faut vivre avec, certainement pas passer son temps à ruminer les évènements passés. Il faut que ces parents continuent d’apprécier leur vie, qu’ils aiment leurs enfants et leur donnent l’envie de grandir !

                Les parents eux aussi, ont beaucoup de questions. Ils veulent tout d’abord savoir comment j’ai été contaminé. Je leur fait une réponse de normand : de mon point de vue, je me sens humainement proche de tous les séropositifs que j’ai rencontré. Ce ne sont pas des paroles en l’air. Dans la vie, ce genre d’expérience traumatisante toute particulière, vous donne la sensation même indirecte, d’être intrinsèquement lié aux individus qui comme vous, doivent passer ce genre d’épreuves en apparence impossible à surmonter. En apparences seulement, la vie n’est souvent qu’illusions et Samsara disent les bouddhistes. En définitif, j’ai la sensation d’avoir souffert de ma contamination à l’hôpital lors de mes fréquentes vacances en Algérie, tout comme ces enfants innocents l’on été à l’hôpital de Tchimkent. J’ai également la sensation fantôme d’avoir été contaminé en me droguant sans utiliser de seringue propre, quelque part sous les ponts du métro Stalingrad à Paris. J’ai été contaminé en me prostituant d’abord au Kazakhstan puis en Russie et en Ouzbékistan. J’ai ainsi été la victime de ce nouveau commerce sur la route de la soie. Je ne veux pas, au grand jamais, que qui ce soit puisse aujourd’hui encore être stigmatisé comme un séropositif de « second ordre ». Il n’y a pas de victime plus ou moins innocente face à la maladie, quelle qu’elle soit. La souffrance est une face au Sida et cinquante pour cent de cette souffrance est due aux préjugés, aux stigmates que les Autres vous imposent, aux carcans dans lesquels certains voudraient vous enfermer. Tout doucement, à ma manière j’ai su sortir de cette tranchée dans laquelle beaucoup aurait préféré me voir évolué. Là en bas, dans le trou, loin de leurs regards gênés. J’explique tout ceci aux parents que j’ai face à moi. Je suis serein. Je pense que le message est passé : Il vaut mieux expliquer aux enfants clairement ce qu’est leur maladie. Plutôt que de tenter de se plier à ces préjugés, partagés par encore trop d’entres nous, et selon lesquels il y aurait de « bons séropositifs » (ceux contaminés à l’insu de leur plein grès) et puis tous les autres. C’est trop facile !

Là, le débat est vraiment lancé. Les parents prennent la parole les uns après les autres. Ils s’oublient même parfois et s’expriment en kazakhs entre eux. Excellent, le courant est passé, il vie en eux maintenant ! Ils veulent savoir en particulier comment j’ai pu survivre si longtemps, ce que je mange, quel genre de sport je pratique. Pour la plupart d’entre eux, je suis le premier adulte vivant avec le VIH qu’ils voient de leur vie. J’essaye de les rassurer, de leur dire que l’on peut vivre longtemps avec ce virus, pour peu que l’on ait les soins appropriés, comme cela semble être le cas au Kazakhstan depuis peu. Je leur dit aussi combien je suis solidaire de ce qu’ils vivent et combien j’aimerais leur apporter plus. Je leur rappel également, si besoin est, qu’ils ne sont coupables de rien ! Qu’ils ont le droit d’être tristes. Mais qu’il est sans doute plus souhaitable pour eux-mêmes comme pour leurs enfants, de surmonter le premier choc de l’annonce de la maladie, de vivre aussi normalement que possible à nouveau. Mes paroles semblent réellement leur avoir fait du bien. Pour eux je suis l’exemple de ce que leurs enfants pourront accomplir plus tard, pour peu qu’on leur en donne la chance. C’est une position « d’exemple » que j’ai déjà vécu par le passé, lorsque j’ai contribué à fonder la première association de jeunes séropositifs en France. Un pied d’estal en quelque sorte. Une position que de nombreuses personnes voudraient occuper. Une position très dangereuse en réalité. Nombre de gens vous admire pour ce que vous faites, bien qu’il ne sache rien de vous personnellement. Mais bien plus nombreux sont ceux qui vous jalousent ou ne comprennent tous simplement pas pourquoi vous vous acharner à vouloir changer les choses. Cette position d’exemple je ne le revivrais pour rien au monde ! Mais au Kazakhstan, du fait de la distance qui me sépare de chez moi et parce qu’ici personne ne me connais, je sais que je suis protégé de ce genre de conséquences outrancièrement positives, tout autant que des conséquences négatives de ce genre de situation. Je prends mon rôle très au sérieux, j’aimerais en faire plus !

J’ai l’espoir d’une part que mon initiative de ce jour portera ses fruits, sur le long terme. Que je serais en mesure d’exploiter cette initiative qui ne doit être qu’un point de départ. J’espère avoir la capacité intellectuelle et physique de réellement travailler pour le bien de ces enfants. Ce sont ces nobles fins que je poursuis, inlassablement. J’imagine déjà le genre de suite que nous pourrons donner à ce qui n’est de mon point de vue qu’un travail d’enquête préliminaire, dès mon retour chez moi. Mission humanitaire de soutient médicale, psychosociale et de formations dédiées aux associations prenant en charge les enfants du Sida à travers le monde ; réunion régulière des enfants du Sida, au moins une fois tous les deux ans, ainsi qu’une enquête du même genre (mais beaucoup plus rapide) également tous les deux ans ; bourse d’étude pour les orphelins du sida désireux de faire des études supérieures…  La tâche est immense ! Certains experts, comme le désormais prix Nobel de médecine et codécouvreur du virus du Sida, le professeur Luc Montagnier, nous garantissent que nous n’en sommes là qu’au début de cette pandémie. « Le Sida sera une maladie du 21ème siècle », déclarait-il peu avant mon départ de France. Le pire est encore à venir. Bien évidemment, lorsque l’on sait que plus aucune multinationale pharmaceutique n’investit désormais dans la recherche d’un vaccin. En clair, à ce rythme là il n’y aura jamais de remède au Sida. « Pas rentable », nous disent-ils. Oui, forcément lorsque l’on sait qu’il y a des millions de séropositifs et qu’un mois de traitement antirétroviral coûte plus de mille euros, pourquoi s’embêteraient-ils à perdre leur temps à nous trouver un vaccin !? Mais là encore, doit-on blâmer la destinée, le ciel, les Autres… ? C’est nous, l’espèce humaine qui décidons de la société dans la laquelle nous vivons. Cela nous engage tous moralement. C’est un choix de société que construisons ici et maintenant. C’est nous, directement ou indirectement, mais c’est nous qui avons construit ces multinationales. Et la vérité est dure à affronter mais nous avons construit une société humaine où les médicaments servent à générer du profit d’abord, et ensuite seulement à soigner les enfants. De mon modeste point de vue et cela n’engage que moi, Il ne tient qu’à nous de changer le monde dans lequel nous visons, chacun à notre échelle. Cela prendra du temps, mais les choses changent. Pour ma part, je veux participer activement de ce changement. Je veux que ma vie serve à autrui. En réalité, c’est très simple.

 

Voilà, c’est dans cet état esprit que je quitte Kanat et sa famille, le cœur serré de ne plus revoir avant longtemps sans doute les petits Aourjan et Baourjan. Sans me connaitre vraiment, ces gens m’auront ouvert les portes de leur foyer. Aujourd’hui encore je me pose la question de savoir comment les remercier un jour

 

 

 

                L'Ouzbékistan

 

                Nous sommes le samedi 15 Novembre. Tôt le matin j’ai pris un taxi depuis Tchimkent, direction la frontière Ouzbèk à une centaine de kilomètres de là. Cela fait tout juste deux mois que j’ai quitté la France. L’Ouzbékistan sera le neuvième pays que je visiterais. Neuf, un chiffre porte bonheur ? Espoir, espoir dis-moi ton nom…

 

                Malgré maints atermoiements avec le taxieur, qui refuse dans un premier temps d’accepter l’argent qu’il était pourtant convenu que je lui donne pour la course (le coup classique), je finis par trouver un moyen de le convaincre. Je menace de le maudire, lui et sa famille. Sa marche ! Il suffit de connaitre quelques « incantations » en patois local et de tomber sur un chauffeur superstitieux. L’enfance de l’art, n’est-il pas !? Il ne vous reste plus qu’à apprendre la « Langue ancienne », comme l’appel encore certains. Cela afin de vous sortir de ce genre de situations délicates !

                Le pauvre bougre a si peur, qu’il me promet même de me révéler un secret que sa famille conserve religieusement et ne révèle pas même sous la torture ! Le « visage pâle » que je suis, me dit-il, saura certainement en faire bonne usage puisque je parle le langage de « l’Alam al-Mithal » : cette langue aux accents gutturaux alambiqués, qui fut autrefois parlée par toutes les peuplades libres et nomades de la région. Je suis circonspect, est-ce là une ruse pour me soutirer encore plus d’argent ? Mon incantation improvisée aurait-elle une signification que je ne connaitrais pas ? D’une expression craintive, le visage de cet homme a revêtu en un instant les atours d’une expression empreinte d’une assurance impassible, séculaire. Ce vieil homme à l’aspect bourru est-il plus dangereux qu’il n’y parait !? Dans ce cas là je ferais mieux de prendre mes jambes à mon coup avant que…

                Le bougre ne me laisse pas le temps de suivre jusqu’à son terme  le cours de mes pensées : il m’agrippe solidement le bras ! Il se penche vers moi, mon cœur manque un battement… et repart de plus belle. Je suis tétanisé ! Après un instant qui me semble durer une éternité, dans la même langue il murmure à mon oreille : « Aourjan n’est pas le seul enfant Kazakh qui compte sur toi ». Quoi !? Comment sait-il chez qui j’ai logé !? Alors, il sait aussi qui je suis et ce que je fais ici !? Pourtant l’interview pour la télévision kazakhe n’a même pas encore été diffusée sur les ondes hertziennes. Malédiction, je suis perdu ! Au milieu de nulle part, sans personne aux alentours, je pourrais être dépouillé voir pire, avant que les gardes frontières qui se trouvent encore à plusieurs centaines de mètres, ne daignent venir voir de quoi il retourne.

                Mon esprit fonctionne à toute allure, j’envisage le pire. Je jauge mon environnement immédiat afin d’improviser la meilleure arme pour assommer ce vieux truand. Et sûr de lui en plus l’énergumène ! Toutefois, rapidement je perçois que quelque chose cloche. La taxieur ne bouge pas, il est là à me regarder calmement. Sous l’effet du stress, mes perceptions sont décuplées. L’odeur de son haleine saturée de tabac, m’enivre la narine. Sa peau tannée par toutes ces années passées à courir les routes sous un soleil de plomb, accapare ma conscience le temps d’un battement de cil. Ces rides profondes, telles des sillons creusés par les ans et ces yeux, noirs, le regard dur, intense, presque triste. Et sur sa main droite, un tatouage que je n’avais pas remarqué au premier abord. Là, c’est comme ci je ne voyais plus que lui ! C’est un signe très particulier. La référence au panthéon grecque est évidente. Mais il y a aussi cette forme intrigante, entre le « kha » de la langue du Mithal et le point d’interrogation inversé. A quelle question existentielle ce symbole peut-il faire allusion !? Oui aucun doute, ce symbole que je vois pourtant pour la première fois, pourrait très bien être celui d’une confrérie obscure quelconque. C’est d’ailleurs exactement le même signe que j’avais vue sur cette mystérieuse missive qui m’avait été adressé à l’hôtel de Saint-Pétersbourg, en Russie. Une simple carte, un message succinct : «ceux qui veulent d’un monde meilleur pour leurs enfants, te saluent ». Oui, quelque chose comme ça. A l’époque je me souviens m’être fait la réflexion qu’il s’agissait certainement d’une erreur d’attribution. Voilà le symbole dont je vous parle :

                Je repense à tous ceci en quelques fractions de secondes, lorsque le chauffeur ajoute : « Des millions d’enfants comme Aourjan attendent d’être délivrer de ce mal qui les étreints ». Les accents mystiques de cette langue antique ajoute à l’atmosphère de plomb du moment présent. Après le premier choc, je bois les paroles de cet homme, je veux en savoir plus ! « As-tu jamais entendu parler de la confrérie des gardiens du Khouloud !? » Bien évidemment, comme tout amateur orientaliste qui se respecte. La légende du Khouloud a eut autant d’impact sur les civilisations du croissant fertile, que celle du saint graal sur la société du moyen-âge européen, ou celle de l’Arbre d’éternité sur la civilisation amérindienne. Mais le vieil homme ne me laisse pas le temps de répondre. Il ajoute presque aussitôt : « Va, ta route est encore longue en direction du couchant. Bientôt, tu franchiras les deux sœurs dont les flots indomptés abreuvent mon peuple depuis Mathusalem. A travers le désert du patriarche, père d’une multitude de nation, tu suivras pas à pas les traces du dernier des caravansérails. Tu devras trouver les restes de l’armure du plus grand des jeunes monarques. Cette relique illustre t’indiquera le chemin de la cité du peuple Chimaera. Là, tu rencontreras l’une de nos sœurs drapée dans son Aba noire. Entre orient et occident, elle t’indiquera laquelle de la route de tes ancêtres tu devras suivre. Puisse l’espoir des anciens t’accompagner où que tu sois. Nous, gardiens du Khouloud, te recontacteront le moment venu ».

                Sur ce, le vieux taxieur descend de la voiture, il ouvre le coffre pour en sortir mon unique bagage. Après avoir ouvert la portière de mon coté, il me saisit par la main, sans violence mais fermement, afin de me faire sortir. Il me confie le sac, remonte aussi sec dans son véhicule et repars sur les chapeaux de roues. Du coup, je n’ai même pas eut le temps de lui régler le montant de sa course. C’est à n’y rien comprendre ! Un fou sans aucun doute. Non vraiment, je n’y comprends rien. A quelle confrérie a-t-il dit qu’il appartenait déjà !? Les gardiens du Khouloud…  Eh puis quoi encore. *

 

                Bon, C’est bien gentil tout ça. Mais il me reste encore une frontière à franchir aujourd’hui. Je commence à avoir l’expérience de la « chose ». Je place en lieu sûr tout mon argent, au fond de ma sacoche, dans une mince poche quasiment invisible. Je ne garde que dix dollars, au cas où la vénalité des douaniers se ferait insistante. Effectivement, dès l’entrée du poste frontière, les deux premiers douaniers que je rencontre me font littéralement les poches. Plus de dollars, du moins plus d’argent accessible à ces vautours. L’un des douaniers se permet même de me tirer les poils de la barbichette. Abrutit ! A l’intérieur c’est la même musique. Les douaniers kazakhs me sourient tous lorsqu’ils apprennent que je suis français. Ils veulent des dollars, ils insistent. A l’un des comptoirs, afin de m’acquitter d’une des formalités, je reste planter là bien dix minutes afin de leur faire comprendre, calmement, sans me compliquer la vie que « je n’ai plus de dollars ». Je leur montre mes poches vides et leur fais comprendre à quel genre d’exercice humiliant j’ai dû me prêter dès l’entrée du poste frontière. Je leur dit qu’il ne me reste plus que des Tengés Kazakhs. Mais non, de cela ils n’en veulent pas ! « Ca ne vaut rien », me disent-ils. Eh oui, mais ce n’est pas mon problème.

                Finalement, j’arrive enfin au dernier poste de contrôle avant le nomansland qui sépare les deux pays. Là, un douanier kazakh à la bedaine rebondie, me fait signe d’approcher plus près. Je m’exécute. En anglais, il me demande de vider toutes mes poches. Celui là n’est pas aussi stupide que les autres, il veut voir tous mes objets de valeurs. Il prend mon téléphone portable et me fait signe de reprendre le reste. Je reprends donc toutes mes affaires, y compris le portable et je trace ma route. L’un de ses collègues s’interposent sur mon chemin et crie aux autres : « je suis sûr qu’il a des dollars ». Puis, en s’adressant à moi : « Viens par là », me dit-il en me désignant un espace exigu entre la grille du poste frontière et la petite cabane qui leur sert de comptoir de contrôle. Tour à tour, il me regarde et il regarde quelque chose derrière moi. Je tourne la tête rapidement et j’aperçois la toque en fourrure ornées des insignes d’un officier. Et là je comprends leur petit manège : l’officier supérieur de ces deux trouffions ne serait visiblement pas content de les voir extorquer de la sorte de l’argent aux touristes ? Ah oui !? Ok, ni une, ni deux je retourne ma tête et sans un regard ni pour le petit gros con, ni pour le grand dadet tout maigre, je trace ma route et je passe la barrière de sécurité. « Eh ! Eh ! ». Ils peuvent toujours me héler derrière mon dos. Je ne me retourne pas. Tout débraillé que je suis, les poches encore retournées, une partie de mes affaires dans une main ou dans l’autre. Je marche sans m’arrêter pendant deux cent mètres. Les autres voyageurs du cru ceux là, écarquillent les yeux sur mon passage. Ils semblent ne pas en croire leurs yeux, ils n’oseraient certainement pas agir de la sorte. J’imagine aussi que mon passeport couleur lie de vin me protège tout de même un tant soit peu. Les pauvres bougres, je n’aimerais pas avoir affaire à ce genre de douanier inculte au quotidien.

                Me voilà donc, une fois encore… nulle part, oui. N’est-ce pas là la définition même d’un no-man’s-land ?  Je veux dire, ce genre de zone tampon entre deux pays, à quoi sert-elle de nos jours ? Avec les armes radicales dont à peu près tout les pays disposent. Il y aurait de quoi faire sauter plusieurs fois notre bonne vieille mère la Terre, et allégrement. Alors placer quelques centaines de mètres comme sécurité quelconque entre deux pays, quelle idée vraiment !? Enfin voilà, je marche vers le coucher de soleil pendant plusieurs centaines de mètres. Bientôt je franchirais à pied ce fleuve mythique, la Syr-Daria ! Avec l’Amou-Daria, l’un des fleuves sans lesquels l’apparition de toutes les civilisations moyenne-orientale n’aurait jamais pu voir le jour. Tous le croissant fertile n’aurait été qu’un vaste désert encore plus aride que le plus profond des ergs d’Arabie.

                Et là sans même vraiment y penser, les paroles du vieux gardien me reviennent à l’esprit : « tu traverseras les deux sœurs… Les flots indomptés… ». S’agit-il là de rivières !? Bon forcément, pour se rendre plus au Sud il faut bien franchir tous les courts d’eaux sur mon passage. Rien de sorcier à cela, ce vieil homme n’a pas du réfléchir beaucoup pour trouver son énigme. Toutefois, il est vrai que certains de mes ancêtres viennent d’orient, de ZÄ�hedÄ�n dans le Baloutchistan plus exactement (le Baloutchistan, coté iranien). Tandis que les autres sont originaires d’Afrique du nord, plus à l’ouest. Jusque là son énigme semble se tenir particulière bien. Quant au caravansérail, c’est pas compliqué nous sommes en plein sur les traces de ce qui fut durant des siècles, la légendaire route de la soie. Les caravansérails, j’en trouverais bien un ou deux sur mon chemin. Reste à savoir à quel genre de peuple Chimaera il faisait allusion. Chimaera de chimère ? Quel peuple plus au Sud avait-il pour emblème un animal chimérique quelconque… ? Là je sèche. Je verrais bien. Tout ceci ne tiens certainement pas debout. De toute façon, quel homme censé croirait-il à une histoire à dormir debout pareil !? *

 

                Je finis par franchir la frontière Ouzbèk sans aucun encombre de ce coté-ci. Les touristes en Ouzbékistan sont une manne dont on prend soin visiblement. L’Ouzbékistan est un pays très touristiques. C’est ainsi qu’après quelques menus déboires avec l’autre taxieur, l’ouzbèk, je finis tout de même par arriver à Tachkent. Entièrement détruite par un tremblement de terre dans les années soixante, aujourd’hui c’est la plus grande ville d’Asie centrale avec plus d’un million d’habitant et un réseau métropolitain digne des plus grandes villes d’ex URSS. Je réside trois jours à Tachkent, le temps de mener ma petite enquête. J’y rencontre notamment la charmante Kamila qui est charge du centre de prévention et de prise en charge du Sida. Ce centre accueille de nombreux enfants affectés par la maladie de leurs parents. Les statistiques là encore sont une denrée rare et les estimations évidemment obscures. Le gouvernement contrôle tout et il le fait très bien. Mais là encore, j’arrive à obtenir quelque chiffres, à procéder à quelques recoupements dont j’ai l’habitude. Bref, je me débrouille plutôt bien là encore.

                Je me rends ensuite sans tarder à Samarkand, l’illustre ! La ville d’Emir Timour (Tamerlan) et du jeune Alexandre le grand. C’est une ville défigurée par de grandes avenues tout à fait soviétiques. J’y rencontre ce jeune homme extraordinaire et débordant d’énergie qu’est Alisher, le responsable du groupe d’initiative des personnes vivant avec le VIH à Samarkand, ainsi que toute son équipe. Nous discutons durant quelques temps et je suis très vite ahuri de tous ce que ces gens ont accomplis depuis cinq ans, notamment au bénéfice des toxicomanes. Ce qu’ils ont fait, ils l’ont accomplis quasiment seuls et sans l’aide de quelque organisme international que ce soit. Face à la mort et à la souffrance, les individus déploient des trésors d’ingéniosité ! C’est ainsi, faut-il pour autant s’en réjouir ?

Au centre de prévention, outre Alisher qui m’aura véritablement impressionné, je fais l’une de ces rencontres dont vous savez qu’elles vous marqueront pour le restant de votre existence. Il y a là Valia, cette petite bonne femme Tsigane d’une quarantaine d’année (les minorités telles que les Tziganes sont les communautés les plus touchées par la pandémie en Ouzbékistan). Valia est toxicomane et séropositives. Elle et les siens vivent dans la rue, ou quasiment. Ils occupent un squattent tout près de la vieille ville. Presque tous les membres de sa famille sont toxicomanes et la plupart sont séropositifs, y compris les enfants. Valia insiste pour que je leur rende visite ce soir, chez eux. J’accepte avec joie l’honneur qu’elle me fait de me laisser pénétrer dans cette intimité où même les membres des ONG ne sont pas autorisés à pénétrer, en général.

Nous avons rendez-vous avec eux tard ce soir-là. J’ai très peu dormi ces derniers jours. Je dois être à la frontière turkmène le matin du 20 de ce mois, soit dans trois jours. Du coup, je cavale d’un bout à l’autre de l’Ouzbékistan, sans prendre le temps de visiter sérieusement les sites historiques dont ce pays regorge pourtant. Ajoutez à cela le fait que les transports en train d’une ville à l’autre durent plus ou moins cinq heures, ce qui ne donne pas vraiment le temps de dormir tout son saoul. Je ne mange pas beaucoup non plus, je donne la priorité à l’enquête. Je touche deux mots de tout ceci à Alisher. Il m’invite à déjeuner (à plus de quatre heures de l’après-midi), il insiste pour être mon hôte. Ensuite nous allons rendre visite à ces amis les plus proches pour diner, presque tout de suite après avoir déjeuner : un rythme de folie ! Alisher voit bien que je suis au bout du rouleau. Il me regarde en coin, me sourit et me demande : « ca va, tu tiens le coup ? Tu veux te reposer avant d’aller voir Valia ? » Ni une, ni deux, à la pensée de faire attendre Valia et ses proches ma réponse fuse : « je me reposerais quand je serais mort ! » Et nous partons tous les deux d’un rire sonore. Sur le chemin, Alisher insiste toutefois pour me faire visiter le tombeau d’Emir Timour, ainsi que celui du cousin du prophète des musulmans, enterré ici-même à Samarkand.

Valia et ce qu’il reste de sa famille habite tout près du vieux quartier de Samarkand (du moins ce qu’il en reste). Deux de ses sœurs son décédées d’overdose. Elles étaient toxicomanes à l’opium, tout comme Valia et sa sœur cadette Sarah, toujours en vie et mère de trois enfants adorables : Sharona, Angelina et Igor, sept ans. Lorsque nous arrivons à leur « domicile », une vieille bâtisse qu’ils squattent, sans eau ni électricité, il n’y a là que Milana et Shawkat : les deux adolescents et neveux les plus âgés de Valia. Ils nous font entrer, ils sont prévenus de notre visite. Au début, je ne vois rien. Tout est dans le noir. Puis, Milana et Shawkat s’active afin de faire un peu de lumière à l’aide de quelques bougies. Ce qui leur sert de mobilier est plus que sommaire, fait de bric et de broc. Je reste stupéfait en découvrant l’intimité de ces gens qui lorsqu’on les croise dans la rue ont pourtant l’air de ce qu’ils sont : des gens comme vous et moi. La lumière est diaphane, Milana et Shawkat sont comme deux ombres chinoises qui se meuvent sur la toile de fond d’une existence qui devrait être tout autre. Milana et Shawkat sont comme l’ombre d’eux-mêmes.

Milana, fille de la sœur décédée de Valia, a 18 ans. Elle travaille depuis plus de deux ans en tant que prostituée à la maison close du quartier. C’est une institution comme il en existe de très nombreuses à travers tous le Caucase. Des maisons closes tolérées par les autorités, à coup de solides bakchichs. Elles sont tenues par des proxénètes qui emploient de jeunes filles et de jeunes garçons, âgés de neuf à vingt-cinq ans d’après Milana. « Je ne fais pas ça par plaisir… », me dit-elle. « Mais si je ne fais pas ca, je n'ai pas d'argent, nous n’avons pas de quoi manger…  Je ne sais rien faire d'autre ». Le jeune frère de Milana a fugué après la mort de sa mère. Il a aujourd’hui dix ans et ils sont sans nouvelles de lui depuis bientôt cinq mois !


 

                Quelques minutes plus tard, Valia finis par arriver avec le petit Igor. Dehors, il fait un froid glaciale. La nuit est noire, pas un rayon de Lune à l’horizon. Ils viennent pourtant de passer une bonne partie de leur journée à faire la mendicité. Valia me fait visiter leur modeste demeure. Elle m’explique qu’ils dorment entasser les uns à coté des autres, afin de conserver le peu de chaleur qu’ils retirent de l’ersatz de foyer qui se trouve dans un coin de la pièce. Puis, elle m’invite à m’assoir sur un tabouret de fortune et nous discutons. Elle à beaucoup de chose à dire, elle en a gros sur le cœur ! Elle me confie par exemple qu’en ce qui concerne l’argent qu’ils parviennent à amasser tous ensemble, chacun à sa façon, pour un tiers il le consacre à leur nourriture. Un tiers de cet argent sert aux divers besoins quotidiens et le dernier tiers bien entendu, c’est pour l’opium. Qui, après avoir vue les conditions de vie dans lesquels la drogue les maintient, pourrait encore douter du fait que la toxicomanie est une maladie !?

              Sarah vient à l’instant de revenir elle aussi, accompagner de Sharona (à droite sur la photo) et d’Angelina (à gauche). Elles aussi, elles contribuent à la survie de ce foyer. Sans compter le fait que Sarah et Valia sont toutes les deux volontaires pour l’association dont s’occupent Alisher. Enfin tous réunis au coin du feu, nous continuons à discuter. Valia m’apprend qu’elle connait son statu sérologique depuis 3 ans, grâce au programme national de test gratuit et parfois imposés par le gouvernement. Un gouvernement qui offre les tests gratuitement afin de ficher consciencieusement tous les séropositifs du pays. Par contre, il ne leur offre par la suite ni soutient psychosocial ni traitement antirétroviral. Ils sont livrés à eux-mêmes et doivent s’organiser en association et groupe d’initiative collective, afin de briser leur solitude face à la maladie. Une solitude, une stigmatisation qui aura emporté les deux sœurs de Valia. Ce petit bout de femme est très clairement le pilier de cette famille, cela saute aux yeux ! Malgré le fait qu’elle est également TB-POSITIVE (tuberculose) et positive à l’hépatite.

                Je suis là près d'eux, ils m'offrent du thé et nous leur offrons avec Alisher les quelques samsas que nous avons pris pour eux. Valia me raconte les soucis qu'elle a afin d’éduquer à son âge, une famille qui n'en finit pas de grandir après chacun des décès d'un de ses proches. Je lui parle des traitements dont le gouvernement annonce à corps et à crie qu'ils sont gratuit. « Un traitement, quel traitement !? Quand je vais dans un centre médical on me demande de sortir. Parce que je suis tsigane et opiomane ». En fait, c’est encore plus grave que cela. Personne ici à Samarkand ne reçoit de traitement. Les docteurs disent à tous les séropositifs qu'il n'est pas encore temps pour eux de bénéficier d’un traitement. Ils les renvoient chez eux, sans leur faire de test sanguin afin de savoir dans quel état se trouve leur système immunitaire. En fait, Alisher m’explique que le corps médical d’Ouzbékistan a pour consigne de ne soigner que les personnes séropositives qui présentent des signes de la maladie. Autrement dit, ils attendent que le patient soit en stade Sida, qu’il ai déclaré la maladie, que son organisme soit à quelques mois de la mort. C'est incroyable oui ! Mais sur cinq cent pvvih (personnes vivant avec le VIH) officiellement déclarées à Samarkand, aucune ne reçoit de traitement. Aucune n'en a reçu en cinq ans d'existence du programme associatif dont fait partie Alisher. Aucune, zéro!

                Valia nous confit également son inquiétude, sa phobie de voir les plus jeunes commencer à s'adonner à ce qu'elle appel la « toxicomanie ». La première étape avant la drogue dure par excellence ici : l'injection d'opium. Shawkat en est a ce stade là. Il a à peine dix sept ans et il commence à sniffer de la colle. Oui, la première étape est franchie, pour lui la route semble toute tracée. « Sortira-t-il un jour vivant de ce squatte ? », me demande Valia sans trop d’illusion quand à la réponse que je pourrais lui apporter. Je recueille leur témoignage en silence, des larmes me brulent le fond des yeux. Je me demande ce que je peux faire de plus pour tous ces sœurs et frères humains, à part de reporter consciencieusement leur témoignage. Pour le moment du moins. Puis, tout d’un coup Valia s’aperçoit qu’il est l’heure pour la jeune Milana d’aller travailler. « Milana, pourquoi n'as-tu pas été travaillé plus tôt aujourd’hui ? », lui dit-elle sur un aire réellement peiné. « Tu sais bien que nous avons besoin de cet argent pour nourrir la famille ». C'est incroyable, oui. Ce n'est pas un ton de reproche mais c'est véritablement de la tristesse que je perçois dans la voix de Valia. Cette femme en est réduite à motiver sa jeune nièce pour qu’elle vende son corps, le temps d’une nuit. Nous sommes là, à la lumière des bougies et des braises du foyer. J’observe impuissant, la jeune Milana sortir du squatte. Ce soir encore elle affrontera seule son destin. Celui d’une enfant du Sida confrontée à la mort, à la maladie, à la cupidité de ce monde des adultes qui lui aura volé son insouciance sans aucun scrupule.

                Je ne suis qu'une goutte d'eau, pourtant pas une seule seconde je ne remets en cause l'utilité de mon travail ici. Je doute de la meilleure façon de le réaliser, oui souvent même. Mais pas une seule seconde je ne doute du bien fondé de tout ceci ! Après une soirée pleine n émotions, Valia me raccompagne à la porte de son squatte. Il fait noir, je n'y vois pas clair. Elle me donne la main afin de me guider dans l'obscurité. Je la saisie, je la serre fort. Nous parcourons ainsi les quelques mètres qui nous sépare de la porte principale, à l'extérieur. Je ne veux plus la lâcher. J'ai peur de ne plus la revoir. De mon coté il n'ya aucune gêne. J'aime vraiment cette Valia, je ne veux pas lâcher sa main. Nous restons là quelques minutes, main dans la main. Alisher est près de nous. Oui, dès que je l'ai vue, j'ai su que la rencontre avec Valia marquerait le restant de mon existence !

 

*     Les passages en italiques ont été romancés dans le but d’augmenter le plaisir du lecteur. J’espère que vous apprécierais le modeste effet de style, que vous ne me tiendrais pas rigueur pour avoir saisi cette liberté à propos d’un sujet grave, qui mérite toutefois qu’on en parle de manière dynamique, épique même si possible.

Envoyer un commentaire ? Merci de cliquer ici

 

 

 

            Le Turkménistan

 

                Nous sommes le jeudi 20 novembre. Je me lève tôt afin de retirer de l'argent dans l'une des rares banques de Boukhara qui offre ce servir. Ici, lorsque vous parler d'un « distributeur » d'argent, les gens vous regardent avec des yeux ronds comme si vous aviez parlé de placer un homme sur la lune. Je mets plus de deux heures pour trouver une banque, une vraie !

                A onze heures, je retourne à l'hôtel où j'ai passé quatre heures hier à m'occuper d'emails, de pétition, de mise à jour pour le site du projet. J'ai rendez-vous avec le réceptionniste qui m'a parlé de l'un de ses amis taxi qui me fera « un bon prix, parce que c'est toi mon frère ! » Ouai bein autant te dire mon coco que les taxis et leur « bon prix », je commence à connaitre, tu parles. Vieil arnaqueur, va ! J’accepte tout de même. Je règle donc quarante dollars pour traverser les cent vingt kilomètres qui séparent Boukhara de Karakul, puis Alat : cette ville frontière qui porte le nom d'une ancienne divinité arabe antéislamique. Je n'ai pas le temps de discuter ce tarif spécial « touriste ». Je commence à connaitre exactement ce que vaut une course en taxi. Mais je suis pressé. Je dois arriver à la frontière coté turkmène, avant 15h.

                Je suis fatigué et malade aussi. J'ai attrapé le rhume du petit Baourjan, au Kazakhstan. J'ai le nez pris en permanence, une vilaine toux et un peu de fièvre. Je suis dans cet état là depuis deux jours. Le bain traditionnel que j’ai tout de même eut le temps de prendre dans le hammam de Boukhara n’aura pas suffit à me requinquer. Ce hammam, c’est l’un des seuls hammams traditionnels qui fonctionne encore dans toute l’Asie centrale. A Boukhara, tout cela en une longue matinée, j’ai également pris le temps de visiter la vieille ville : un véritable petit bijou qui lui n’a pas été remodelé à la sauce soviétique. Boukhara était sans doute une ville sans grand intérêt stratégique pour Moscou. Ce fut là sa chance. Je visite enfin le musée dédié à celui qui fut sans conteste le premier des grands savants musulmans : le maitre du hadith nabawi, Al-Bokhari. Déjà là, je sentais que je tirais sur mes réserves d’énergie, que ce rhume n’irais pas en s’améliorant si je continuais de progresser à ce rythme là. Pourtant j’ai continué, ai-je le choix ? Pas pour le moment, non.  Je sais que si je tiens encore debout c'est que ce n'est pas si grave. Par contre, si je me laisse aller à prendre une médication quelconque, là à coup sûr je suis bon pour être vraiment faiblard pour au moins deux jours de plus. Pour cela aussi je n'ai pas le temps. Ca finira bien par passer, c'est ce que l'on dit dans ses moments là n'est-ce pas.

 

                Effectivement l'air sec, la température clémente et le soleil d'un ciel sans nuage du désert turkmène me fait rapidement beaucoup de bien. Pourtant je n'ai rien d'autre à grignoter que les raisins secs que m'ont offerts ce vieux Bokhari et sa fille que j’avais rencontré dans le train depuis Samarkand. Il faut dire qu'hier soir j'ai enfin fait une vraie nuit de sommeil. J'ai dormi au moins huit heures. Fait très significatif pour un hyperactif comme moi : lorsque j'ai ouvert les yeux le matin, j’étais exactement dans la même position que la veille en m'endormant. En m'écroulant serait une description plus appropriée, certes. Qui plus est, le fait de constater qu'aujourd'hui mon passage en douane se fait sans embuche, participe à cet apaisement qui s’installe en moi.

                A la frontière ? Le coup classique oui : Je marche deux kilomètres à pieds, mon sac à doc sur les épaules, seul sur le nomansland qui sépare les deux pays. Deux kilomètres c'est beaucoup pour une frontière, oui. Mais les deux pays ne sont pas en très bon terme à ce que j’ai cru comprendre. Autour de moi, ce ne sont que dunes de sable à perte de vue, avec ici et là des herbacées que l'ont a plantées afin de protéger la route d’une avancée du désert, pourtant inéluctable. A la fin de cette route, c'est le poste de garde frontière Turkmène : un bâtiment au milieu de nul part, des fils barbelés tout autour. La barrière qui symbolise le territoire turkmène est fermée, les officiers déjeunent. Ok... C'est surréaliste. J'ai l'impression d'être dans une scène de Kafka. D'où sortira l'homme à la tête de bête, cette fois-ci ? Je m’assois à même le sol, sur un carton. J'imite en cela les gens du cru, impassibles, résignés. Ce sont des routiers pour la plupart et des femmes, coquettes, bien apprêtées. Haut talons, jupes longues, sac à main à la mode européenne : je suis admiratif, tant d'élégance au milieu de tant de poussière. Peu importe le métier qu’elles font surement. Le vent sec souffle du sud. Ma veste noir est déjà presque entièrement terre de sienne, maculée par le sable du désert. Après le check-point, je rencontre Batir (prononcer "Bataarr"). Pour le Turkménistan, j'ai effectivement sollicité les services d'un guide. D'une part parce que le pays est hermétiquement fermé à toute intervention étrangère. Par exemple, les autorités n'ont pas honte d'affirmer qu'au Turkménistan le Sida n'existe pas. Pourtant, dans les rues des villes on voit là aussi tout autant de toxicomanes qui errent, le regard agar à la recherche d’un fixe de plus, juste un autre fixe ! La différence, c’est qu’ici au Turkménistan le gouvernement ne se donne même pas la peine de sauver les apparences. Forcément, personne n’est assez fou pour venir mettre son nez dans les histoires turkmènes. Dans ces conditions, pas la peine de jouer au kamikaze. D'autant plus que si quoique ce soit m'arrive ici, le reste de mon enquête tombera à l'eau. Par ailleurs, certaines villes du Turkménistan passent pour être les plus authentiques d'Asie centrale. Le service d’un guide ne sera pas de trop pour défricher l’histoire de ce pays qui remonte selon certains, à plus de sept mille ans.

Une femme Balouche, 
marché de Mary (la ville d'Abraham)

                Nous liquidons ensemble les formalités d’usage. Puis nous prenons un taxi. C'est ainsi que nous arrivons Batir et moi-même à la gare ferroviaire de Turkmènabat, le chef-lieu du nord est du pays. Le soir venu, nous arrivons en train à Mary. La ville mythique ! L’antique cité multimillénaire. Avant le moyen-âge, Mary était la seconde ville au monde après Bagdad. Au carrefour de plusieurs des routes de la soie, l'on raconte que cette ville aurait vue naitre Abraham. Ce père d'une « multitude de peuples », cette figure idéalisée du patriarche, celui dont le nom a marqué l'inconscient collectif de centaines de générations. Celui dont on raconte que son épopée fut citée jusque dans le Râmâyana hindous ! Oui, Abraham serait né ici, sur cette même terre que je foule en ce moment de mes pieds. Nous visitons les quelques musées et sites touristiques que compte la ville. En vérité il n’y a là pas grand à voir. Puis le lendemain nous prenons la voiture qui a été louée pour moi. Nous partons en direction du Sud, vers la capitale. Sur le chemin, nous traversons des contrées désertiques où nos frères humains vivaient librement il y a encore peu de temps, drapés dans leur long manteau en laine. La civilisation humaine est apparue ici, selon certain archéologue, il y a plus de sept mille ans. Ce qui en fait l’une des civilisations les plus anciennes au monde. Je ne sais pas pourquoi, mais je ne peux m’empêcher de penser à cet énigme qui m’a été délivré par le vieux gardien du Khouloud. « A travers le désert du patriarche, père d’une multitude de nation… » Abraham était surnommé ainsi, le père d’une multitude. Et nous venons de visiter la ville qui l’a vue naitre : Merv, appelée aussi Mary. « Tu suivras pas à pas les traces du dernier des caravansérails... » Alors, je me laisse prendre au jeu et je me dis : « on verra bien ». Je demande donc à mon guide de nous trouver un ancien, très ancien caravansérail. Il me dit que la meilleure façon de procéder est encore de suivre les traces des troupeaux de dromadaires. Je trouve l’idée intéressante. Après tout, qu’est ce qui connait moi aux caravansérails. Allons-y !

                Effectivement, nous tombons sur des traces fraiches de camélidés (photo ci-dessus). « Nous sommes sur la bonne voix », me dit-il. Un peu plus loin, nous tombons sur les ruines de la « citadelle des femmes ». Un harem dévastée qui appartenait au souverain turkmène de l’époque, avant l’invasion des « barbares » du nord. La citadelle est en ruine mais le palais non loin de là est quasiment intact. Il aura résisté aux tremblements de terre ainsi qu’aux invasions des Uns qui auront éradiqué la population du pays, le laissant sans vie durant près d’un siècle. Mais les Uns étaient admiratifs de l’architecture turkmène parait-il, d’où l’état de conservation exceptionnel du palais.  Aujourd’hui les tribus baloutches de la région continuent de venir rendre hommage aux derniers des grands souverains, enterrés là. Nous avons de la chance, nous tombons sur le cortège d’un mariage baloutche typique. Nous continuons notre route. Non loin de là, nous longeons les ruines d’une très vieille cité. Alexandria Margiana : la ville d’Alexandre, « le plus grand des jeunes monarques ». Effectivement, Alexandre n’avait pas encore vingt-cinq ans lorsqu’il a conquis la moitié du monde connu de l’époque. Aujourd’hui sa citée n’est plus qu’un vaste, très vaste monticule de terre battu par les vents. Et nous avons beau chercher encore et encore, aucune trace de cette fameuse armure. Nous tentons notre chance un peu plus loin, à Nisay. L’une des plus anciennes cité de cette région qui décidemment regorge d’histoire ! Les nicéens étaient un peuple riche, savant, réputés pour ses connaissances en médecines. D’ailleurs, non loin du centre de la citée nous trouvons les reste d’un cheval sacré, ayant subit le « rituel d’éternité » (photo ci-dessous). En langue ancienne, éternité se dit « khouloud », ce qui peut également signifier  immortalité. Cela ne peut être qu’une simple coïncidence. Je demande alors à en savoir plus. Mon guide ma raconte que les anciens monarques de Nisay buvaient le sang de leur plus beaux chevaux. N’oublions pas qu’ici, le cheval est depuis longtemps un compagnon fidèle des cavaliers des grandes steppes. Le cheval est un animal sanctifié depuis de nombreuses générations. Mes qu’est-ce que les gardiens du khouloud veulent-ils que je fasse avec ce genre de superstitions antédiluviennes !? Y aurait-il au bout de ce périple qu’ils semblent m’inviter à poursuivre, un secret en mesure d’aider les enfants comme Baourjan dont les jours sont comptés ? Nous verrons bien.

                Quoiqu’il en soit, même si ces vieilles croyances ne seront d’aucune aide pour les petits enfants confrontés au Sida, je sais au moins être sur la bonne voix. Effectivement, non loin de là sur la route, nous croisons un troupeau de dromadaires (photo ci-dessous) qui se rendent au marché d’Achgabat, la capitale. Cet immense marché qui comme surgit de nulle part, s’étend sur plusieurs hectares. C’est le plus grand marché d’Asie centrale. On y trouve de tout : fruits exotiques, légumes variés, tapis d’orient, meubles polis par les ans, voitures d’occasion et même oui, des dromadaires ! Nous suivons par conséquent le troupeau jusqu’au terme de son périple. C’est ainsi que je fais la connaissance de « l’ancien », comme le surnomme tous les autres vendeurs des environs. Il passe pour être le plus vieux commerçant de dromadaires de toute la région. C’est sans doute aussi le dernier, le commerce de ce genre d’animaux périclite. D’ailleurs l’ancien, Iskandar de son véritable nom, s’est résigné à vendre ses derniers dromadaires. Non assistons à la vente des pauvres bêtes qui partent sans doute pour l’abattoir.

Iskandar, dit "l'ancien", 
éleveur de dromadaire dans la région d'Achghabat

La vente de tous les dromadaires du veil Iskandar

                Iskandar parle peu. C’est un homme profond, ou alors triste je ne saurais dire. Les expressions de son visage sont indéchiffrables. Toutefois, lorsque je lui pose la question, il m’indique sans hésitation la route pour me rendre au dernier des caravansérails. Il me confit également que l’édifice est abandonné depuis des lustres. « Cela dit, tu trouveras là-bas un vieux gardien, plus vieux encore que moi », est-ce l’esquisse d’un sourire que je viens de voir apparaitre furtivement sur ses lèvres !? « Ce vieil ermite s’est fourré dans la tête de veiller sur une relique rongée par l’usure et l’oubli des hommes. Il dit qu’elle est aussi précieuse que le plus grand des secrets de notre humanité. Cet ermite vit tout près du caravansérail situé non loin de Kashan, la Perse ». Voilà, manquait plus que ça. Encore une énigme ! Toutefois, celle-ci semble relativement claire. Je dois me rendre en Iran et en avoir le cœur net : cette relique, s’agit-il de la très ancienne armure d’Alexandre. Et dans ce cas là, m’indiquera-t-elle la route à suivre après avoir quitté le Turkménistan. Quoiqu’il en soit cela tombe très bien. L’Iran était de toute façon le prochain pays sur ma liste. Je suis censé resté deux jours à Achgabat, notamment afin de visiter l’antique citée des Pars, ce peuple fier et insoumis.

La citée des Pars, environ d'Achghabat




                Voilà, c’est ainsi que je passe au Turkménistan les quatre premiers jours de repos total que je m'accorde depuis le début de mon périple. Batir s'occupe de tous, moralement c'est très reposant. Je fais trois bons repas par jours, je dors tout mon sou chaque nuit, après la sortie du matin nous déjeunons et nous rentrons à l'hôtel pour une petite « kiloula » : une courte sieste typiquement Turkmène d’après mon guide. Je veille bien à manger de nombreux fruits, je grignote également entre les repas afin de récupérer le poids que j'ai perdu durant ma course effrénée sur la route de la soie. Je me suis enfin résolu à prendre du paracétamol et mon rhume a disparu avec mes cernes et ma mine jaunâtre des derniers jours. Je déteste les médicaments ! Je hais savoir dépendre de petites pilules. Aujourd’hui pourtant, tout va pour le mieux, dans le meilleur des mondes. Tout comme au Turkménistan, parait-il. Ce pays est dirigé par un président mégalomaniaque, dans la plus pure tradition soviétique. C’est du grand art ! Staline aurait été fier de ses héritiers turkmènes. Le président à écrit un livre fleuve, au style propagandiste indigeste, traduit néanmoins en plusieurs dizaines de langues (j’en ai lu quelques passages). Non vraiment, le Turkménistan est sans doute l’unique pays au monde qui n’ai pas basculé dans un capitalisme sans vergogne, après la chute du mûr en 1989. Effectivement, on s’en rend compte assez clairement en ouvrant les yeux dans les rues d’Achgabat, la capitale. Les gens donnent l’impression de vivre dans les années soixante. Pourtant, le pays est richissime. La nouvelle ville a été rebâtie sur les ruines de l’ancienne capitale, en dix ans pas plus. Aujourd’hui ce sont des bâtiments de marbre blanc partout, à perte de vue. Des coupoles de toutes les couleurs. Et au milieu, ca n’est pas une rivière qui coule non, c’est la statue en or du président. Trônant au sommet d’une tour construite sur la place centrale de la ville. Cette statue le représente le poing levé vers le soleil. Et elle tourne, la statue, en même temps que le soleil tout au long de la journée ! Le président est la lumière de la nation, vous comprenez. C’est d’un goût… Lamentable ! Mais comment est-ce possible !? C’est moche voilà tout ! Mais cela, je me suis bien gardé de le lui dire : « Oh oui, c’est intéressant ce que vous avez fait de la capitale de votre pays. Ah, ha… Et les habitants des anciens quartiers, où sont-ils passés au juste ? Eux aussi ils ont été relogés en dix ans à peine… ? » Là, c’est le blanc, Batir ne répond pas.

                Il trouve ça beau, le brave Batir. Un guide touristique, vraiment !? Ici au Turkménistan, il parait que les guides sont imposés par le gouvernement, qu’ils vous surveillent, vous posent des questions pour en savoir plus sur vos opinions politiques, religieuses et tout le reste. Je ne sais pas si Batir est un agent du gouvernement mais en tous cas il correspond parfaitement au profil. Il passe son temps à me poser des questions, l’air de rien comme ça. Une chose très drôle également, à chaque fois que nous passons devant un bâtiment des renseignements nationaux (l’ancien KGB, reconverti après l’effondrement de l’union soviétique), Batir à un mot admiratif pour ses anciens collègues. Car oui, il m’a dit avoir travaillé pour eux. Je pense que c’est toujours le cas d’ailleurs, il semble vraiment très bien renseigné sur mon compte. Il connait mes origines, il pose les bonnes questions, auxquelles je lui réponds sincèrement, je n’ai rien à cacher. Certains rhétoriciens n’affirment-ils pas que la meilleure façon de tromper votre ennemi, c’est de lui dire la vérité au moment opportun. Par contre, lorsque Batir me demande si je veux connaitre la situation des orphelins au Turkménistan, là je me dis prudence. Mais c’est que ce sauvageon n’a pas froid aux yeux ! C’était notre dernier soir ensemble, nous étions à table en train de diner. A ce moment là je me souviens avoir tourné la tête, j’ai fait mine de ne pas avoir compris la question. Pourtant Batir parle un français impeccable. Oui, ça aussi c’est un signe de plus qui ne trompe pas.

 

                Aujourd’hui j’ai visité les ruines splendides, à flanc de collines, de l’ancienne Pars. Puis, j’ai laissé Batir loin derrière moi. Sur le plus personnel, il reste un individu à la compagnie tout à fait agréable. Cela dit, j’espère ne jamais recroiser la route d’individus vides, idéologisés, claquemuré dans la paranoïa d’un nationalisme déshumanisé, tel que seul le vingtième siècle à su en produire par légion entière. Je devais rester deux jours entiers à Achgabat. Par tous les démons inférieurs, quel calvaire cela aurait été. J’ai donc remercié le brave Batir et j’ai laissé derrière moi ce grand pays que fut un jour, il y a très longtemps, le Turkménistan.


Vous pouvez dors et déjà consulter la page du Blog dédiée à mon
retour à Paris ici,  l'IMCA  |  2009

Retrouvez la suite du blog dédié 
aux enfants du Sida en . . .