Premiéres visions des grandes plaines du nord de la Russie Citée des tsars déchus Saint-Pétersbourg | l'Européenne Saint-Pétersbourg, la plus européenne des villes russes. Palais de l'Hérmitage (Saint-Pétersbourg) La grande Mosquée Bleue (Saint-Pétersbourg) Vidéoconférence avec les enfants de Montigny-le-Bretonneux (IDF) et leur institutrice : Mme Solène Ihaddadène, le 14 octobre 2008 La place rouge (Moscou) Basilique de Jésus le Salvateur (Moscou) Moscou (mégapolis) Orphelinat "réservé" aux enfants séropositifs (les locaux sont tout neufs, comme si cela justifié une telle discrimination....) L'hôpital Botkin, Saint-Pétersbourg. Un service y est réservé à la prise en charge des enfants séropositifs. C'est là l'un des seuls hôpitaux qui acceptent de traiter les séropositifs (enfants, toxicaomnes, prostitués : souvent les trois à la fois. L'intérieur de l'établissement n'a rien à envier à l'éxtérieur) L'hôpital Botkin, Saint-Pétersbourg (L'intérieur est tout aussi sordide et lugubre) L'hôpital Botkin, Saint-Pétersbourg (il ne fait pas bon être séropositifs en Russie) Le centre de dépistage se trouve dans un quartier des les plus excentrés de Saint-Pétersbourg. (Le coût d'un bilan sanguin est de plus de la moitié du salaire minimum russe !) Metro Pionerskaya (Moscou) L'adorable "Madame crêpes" (auberge de jeunesse, Saint-Pétersbourg) Photos de Ludovic Zahed © 2008 | All rights reserved |
Because
AIDS orphans and HIV+ children deserve to laugh and be loved like any
other child !
Les textes de ce blog, retravaillés, sont désormais disponibles aux éditions l'harmattan (cliquez ici) La
Russie . . .
De charybde
en scylla ! Après
onze
heures de train où je ne dors pas une seule fois,
j’arrive à Vilnius. Je dois
prendre le train pour Saint-Pétersbourg dans dix minutes,
afin de voir demain
la personne en charge de l’association qui s’occupe
des enfants des rues en
Russie. Je suis censé dormir dans le train et arriver juste
à temps avant son
départ pour l’Azerbaïdjan où
elle séjournera quinze jours. Pourtant, et Dieu
sais que je commence à m’habituer à la
routine, à la gare il n’y a aucun office
du tourisme et personne ne parle anglais : génial,
j’adore ! Je
décide de ne pas me stresser. Je me pose sur un bang et je
réfléchi à la
meilleure façon de passer la nuit sur Vilnius. De toute
façon, je n’aurais pas
ce fichu train. Je verrais les associations de
Saint-Pétersbourg dès le retour
dès leur retour d’un déplacement qui
les retiendra hors des mûrs pendant au
moins quinze jours. Je
me mets à
la recherche d’un hôtel dans les rues de Vilnius,
mon guide touristique du
« lonely planet à la
main »… sous des trombes
d’eau ! Des bidons
entiers sont vidés depuis tout là-haut. Je ne
veux pas prendre de taxi (mon
budget n’est pas inextensible). Je finis par arriver
à « l’auberge de
jeunesse locale », mais la femme qui tient la
caisse, aimable comme une
porte de prison, refuse de rester trois minutes de plus le temps de me
louer
une chambre. Me
voilà
donc reparti pour un tour. Je finis par trouver un hôtel,
clairement au-delà de
mes moyens. Je me hasarde tout de même à
l’intérieur, en tentant vainement de
mettre un minimum d’ordre à ma tenue clairement
débraillée à cause des
conditions météo invraisemblables. Contre toutes
attentes, je trouve à
l’accueil une jeune femme adorable, vraiment. Les chambres de
l’hôtel sont hors
de prix. Elle m’aide toutefois à trouver une
chambre à la portée de ma bourse.
Cet hôtel est à dix minutes de marche de
là, je ne suis plus à ça
près. Cette
nuit là, je dors du sommeil du juste ! Le lendemain
matin, j’ai à peine le
temps de flâner dans Vilnius sous un beau soleil, une fois
n’est pas coutume.
Et en début d’après-midi je prends le
train de 18H12 pour Saint-Pétersbourg. La
Russie
est une étape importante de mon voyage. J’ai
prévue d’y séjourner un mois
entier. D’autre part, c’est le premier pays
où je dois accéder à l’aide
d’un
visa. C’est un peu d’émotion que de
savoir que les douaniers pourraient, pris
d’une folie quelconque, me refuser
l’accès et ainsi compromettre la suite de
mon périple. Toutefois, je constate également
avec satisfaction que je suis
absent depuis trois semaines, sans en éprouver le moindre
mal du pays, bien au
contraire. Il faut dire que dernièrement j’ai eut
l’esprit bien occupé. Je n’ai
pas chômé ! Dans
le
train, je partage ma cabine avec une certaine Nastia. Elle habite a
Iekaterinbourg,
elle a trois enfants : un de trente et deux jumeaux de 21 ans. Elle ne
me croit
pas lorsque je lui dis avoir l'âge de son fils le plus
âgé. L'air dubitatif,
elle secoue lentement la tête de droite à gauche :
« tu ne fais pas ton
âge » (En Russie non plus ? Comme c'est
étonnant !?) Ma « gueule de
gosse » me poursuivra-t-elle donc partout,
où que j’aille !? La
conversation se poursuit tan bien que mal. Mon russe est plus
qu'approximatif.
Je dois excaver les maigres restes décharnés des
quatre ans de russe étudiés à
l'école. Mais tout de même, cahin-caha nous
comprenons ce que chacun de nous à
en tête. Elle me demande où je vais. Je lui montre
mes autres visas
: « Nooon.... toi !?". Eh oui, personne
d'autre. « Et ta
maman, son cœur bat pour toi ? », me
demande-t-elle en faisant de grands
gestes en directions de son opulente poitrine. « Si
ma mère a peur pour
moi ? Non, ca va je crois », je lui explique alors
que ma mère pense que
je m'arrête en Russie. Elle parait elle-même
rassurée. Etonnant cette empathie matriarcale
communicative, tout de même. Elle
me
parle de Paris qu'elle a visité une fois à
l'occasion de la coupe du monde de football.
Alors je n'y coupe pas : elle me parle du "Louvrrre" en premier, puis
elle égraine la liste des monuments qu'elle a
visités. Autant dire que c’est
long. Mais bon, on a rien d’autre à faire dans un
train que de raconter
n’importe quoi, l’un comme l’autre.
Quoiqu'il en soit, cette femme me donne une
impression des femmes qui ont pu inspirer l’image de la mamoushka russe. Nombreux sont les
touristes déjà rencontrés sur ma
route qui m'ont pourtant mis en garde contre la froideur russe. Nastia
pourtant,
c'est tout l'inverse. Il suffit de l'inviter du regard pour qu'elle
reprenne ce
flot de paroles inébranlables qui sont pour la plupart
incompréhensibles à mes
oreilles par trop incultes. Nous discutons de ci, de ça.
Puis nous finissons
par nous endormir. Le
lendemain
matin, après une nuit mouvementée en raison des
contrôles douaniers répétés,
nous arrivons enfin sur les grandes plaines du nord de la Russie qui
s'étendent
à perte de vue, de part et d’autre du train. Puis
c'est Leningrad comme l'appel
encore Nastia, qui prend peu à peu le pas sur ces
contrées sauvages ; tout
doucement sur les derniers kilomètres de notre parcours,
avec de petites
constructions que l'on remarque à peine. Puis, c'est
l'architecture
gigantesque, carré, imperturbable qui s'installe. Je suis
enfin en Russie,
depuis quinze ans qu'on m'en parle ! Je
ne sais
pas si c'est un signe du destin, mais depuis quelques minutes
déjà notre train
semble se diriger vers un arc-en-ciel qui semble enjamber cette ville
qui
s'éveille. Le train s'arrête. J'aide Nastia
à descendre ses bagages, elle est
bien chargée. Puis je sors de la gare en direction du
métro. Je découvre en
plein air cette lumière typique des latitudes
septentrionales : orangée,
pastelle, comme émanant d'un soleil tamisé
à l'ancienne. Je
trouve
assez facilement l’hôtel que j’ai pris le
soin de réserver depuis Vilnius,
histoire d’éviter le genre
d’expéditions que j’ai par trop connu
ces dernières
semaines. C’est ainsi qu’une fois
installé dans cette petite chambre, je profite
de cette première semaine de calme relatif depuis mon
départ, afin de mettre en
ordre le blog qui à sérieusement besoin
d’un coup de propre ! Je
retravaille certaines photos, je relis les textes
déjà mis en ligne, je rédige
le récit de mes dernières aventures.
Bonant-mallant, je parviens au bout de 6
jours enfermé dans cette chambre d’hôtel
à un résultat satisfaisant. Je prends
également le temps de découvrir certains des
monuments de cette ville nouvelle,
âgée de trois cent ans à peine, que
beaucoup considèrent comme la plus
européenne des villes russes. Chaque soir à la
nuit tombée, de loin le plus agréable
moment de la journée selon moi, je parcours les rues de la
ville dans un froid
surprenant pour cette première quinzaine du mois
d’octobre. Saint-Pétersbourg
a été fondée par le grand tsar, Pierre
1er. Un Souverain désireux de
construite aux portes septentrionales de l'Europe, une ville moderne
aux bras
grands ouverts sur le golfe de Finlande et la mer Baltique. Construite
sur des
marécages, rançon d’une longue guerre
contre les puissantes armées suédoises du
dix-huitième siècle, l'architecte
français Leblond trouve là matière
à créer
autour de la rivière Neva sa « ville
idéale ». Le
résultat
? C’est difficile à dire. Cette ville est comme
une juxtaposition de belles demeures
européennes, en pierre, carrées, aux
décorations baroques outrancières qui
souvent les font ressemblées à des
gâteaux envahis d’un amoncellement de chantilly.
Dan, un jeune londonien de vingt et un ans qui partage le
même petit dortoir
que moi à l’auberge de jeunesse, me dit que pour
lui c’est comme si les
bâtisseurs de cette cité avaient dans
l’idée de « prendre toutes les
belles et grandes demeures d’Europe pour les placer les unes
à coté des autres,
ici à Saint-Pétersbourg ». Il
‘en dégage l’impression de quelque chose
de
« surfait ». Un effet qui s'en
trouve renforcée par toutes ces
couleurs pastels dont tous les murs de la ville sont enduits. Certains
adorent
et l’a surnomme la Venise du nord. D’autre comme le
célèbre Pouchkine la décrive
comme « fastueuse et pauvre ».
Qui peut le contredire en ces temps où
la Russie loin d’avoir retrouvée ses fastes
d’antan, n’a semble-t-il pas les
moyens d’entretenir toutes les façades de ces
bâtiments si outrancièrement
décorés. Prenez
l'Hermitage
par exemple : un blocosse baroque, aux murs extérieurs
peints en vert olive profond.
Pas terrible, non. L'intérieur par contre m'a
laissé sans voix ! Et pourtant il
en faut pour me clouer le bec, n’est-ce pas. De superbes
salles d’expositions,
décorées de manière très
éclectique. Cela va du style Directoire, à la
reproduction stylisée de l'intérieur des demeures
grecques : des plafonds
somptueusement peints de couleurs vives et chatoyantes,
d’autres salles ont les
mûrs recouverts de mosaïques parfaitement
entretenues. L'une des pièces au rez-de-chaussée
m'a immédiatement fait penser aux descriptions de la salle
du trône des padichas
de l’antique Persépolis (au sud est de l'actuel
Iran). Quant
aux
collections, le must. Je me suis particulièrement
attardé dans la galerie réservée
aux nombreux Rembrandt. J'adore cette maitrise de la lumière
! Là, j‘ai gardé
le meilleure pour la fin : je suis resté coi
d'admiration, bien 20 minutes
à me délecter de la « madone
à
l’enfant » de
Léonard de Vinci. Et c'est un peu ca
Saint-Pétersbourg
: un écrin quelque peu outrancier, trop
démonstratif à mon goût, pour une perle
de finesse et d'élégance lorsque l'on sait
où poser le regard. Après
ces
premières semaines vécues sur des charbons
ardents, afin de respecter un agenda
bien chargé pour le début de ce tour du monde,
j’avais besoin de temps afin de
digérer au moins en partie ces expériences
vécues, notamment au contact des
enfants polonais. Comme de bien entendu, j’ai
ruminé ce vécu ces derniers
jours. Comme toujours lorsque l’on rumine, ce qui remonte
à la surface de notre
conscience, le plus évident n’est jamais le plus
important. Je suis habitué à
ce genre de processus où je sens bien que quelque chose a du
mal à passer. Quelque
chose a du mal à être
intégré au reste de mon équilibre
psychique. Quelque
chose, mais quoi !? Je
laisse
faire ces processus sous-jacents et je patiente, le temps
d’être en mesure
d’associer une représentation consciente sur ces
affects qui semblent peser sur
mon état d'âme actuel. Mais j’ai dans
l’idée que le témoignage de ces jeunes
filles polonaise qui vivent avec le Sida depuis toujours, a trop raisonné en moi. La
prochaine fois,
je devrais renforcer mes défenses et rester fixé
sur les nobles fins de cette
initiative, auquel cas je risque fort de ne jamais en venir
à bout. Mais tout
de même, une question me hante, comme le refrain
d’une chanson que l’on ne
parvient pas à chasser de son esprit. Je me
demande : « mais
comment est-il possible que de si jeune enfants aient à
vivre avec ce genre de
maladie !? » J'ai,
il y a
quelques temps déjà, aboutit à ce que
je vois rétrospectivement comme une
longue et pénible prise de recul par rapport à ce
genre d’évènements. Au fil
des ans, je pense être parvenu à trouver une
conception des « choses de la
vie » qui me sied. De manière
générale, je pense qu'il ne suffit pas de
rester les bras croisés à déclamer de
grandes phrases sur les raisons qui
peuvent pousser le destin, le ciel ou la terre à laisser ce
genre de choses se
produire. De mon point de vue, l’action se doit de suivre la
réflexion. Pour
autant,
je n'ai jamais eu l’âme d'un
révolutionnaire, perpétuellement en
révolte contre
l'ordre établi. Au contraire, je suis plutôt du
genre à jauger quel est mon
devoir et à m'astreindre de l'accomplir. Aujourd'hui je
comprends pourquoi
nombre de philosophes et de penseurs voient l'intention d'agir comme le
premier
pavé sur la route de la libération du soi. Mais
paradoxalement, il est bon de
m'apercevoir que cet équilibre durement
élaboré est instable, dans une certaine
mesure. Mon équilibre n’est pas
sclérosé, il reste ouvert au doute.
C’est à mon
sens la preuve que la partie de moi à laquelle
j’accorde le plus d’importance,
est toujours vivante. Le
quatorze
octobre au matin, la vidéoconférence que
j’ai avec les enfants de
Montigny-Le-Bretonneux achèvent les derniers doutes qui
subsistent en moi quant
au bien fondé d’un tel voyage. Ces enfants qui
suivent le tour du monde depuis
le début, tous comme les enfants de Nanterre, sont pour moi
une grande source
de réconfort ! Ils ont des tonnes de questions
très pertinentes sur ce que
c’est la Sida, sur la vie de ces enfants qui sont
confrontés à la maladie.
Alors je tente tant bien que mal à improviser une
définition sommaire des mots virus,
maladie, Sida etc. Je sais de
source sûre que ces informations sommaires seront
étudiées de nouveau avec les
enfants. Notamment à Nanterre, où les acteurs de
la vie citoyenne là-bas font
un travaille formidable. Ils ont entre autre chose, entamer un
programme
d’instructions et de prévention
santé-Sida. Pour moi il est exaltant de savoir
que ce voyage aura également servi à cela. Les
enfants ont aussi des questions
concernant mes petits
mensonges : « et pourquoi tu as
dis à ta
maman que tu partais juste en Russie ».
D’une part, cela prouve qu’ils ont
lu tous ce que j’ai écrits, rigoureusement. Par
ailleurs, ils semblent avoir un
sens aigu de la véracité des propos que
l’on se doit d’avoir avec ses parents.
C’est bien ! Ce
ne sont
pas que des mots ou des images que nous
échangeons : nos contacts
réguliers me permettent de garder à
l’esprit, encore et encore, que ce voyage
donne du rêve et un peu de bonheur, à des enfants
qui, un jour surement, feront
de notre monde un endroit un peu meilleur que le monde que nous leur
aurons
légué. Tout le reste m’importe peu
à vrai dire. Ce que je ressens par rapport à
cela est difficile à exprimer. Disons que, des
années durant on a en soi une
certaine idée du bonheur, on gigote dans tous les sens, on
s’échine de pleins
de façons différentes pour
« avoir ce que l’on
veut », dit-on. Et
puis un beau matin on se réveil, une idée folle
dans la tête. On la met en
pratique et très vite on comprend que ce que
d’aucuns appellent la vérité
est là. La vie est courte certes.
Mais elle pourrait durer dix mille ans qu’elle n’en
aurait pas plus de valeur,
pour peu que l’on parvienne à conserver son regard
intérieur fixé sur ses
propres nobles fins. C’est
dans
cet état d’esprit, mi-figue mi-raisin mais tout de
même bien plus au clair avec
moi-même, que je prends le train pour Moscou où
j’ai prévu de passer un long
week-end, avant ma rencontre avec les associations de
Saint-Pétersbourg la
semaine prochaine. Tout au long du trajet, les forêts
verdoyantes, les lacs
immenses du nord de la Russie, les plaines à perte de vue
entre Moscou et
Saint-Pétersbourg achèvent de calmer mes humeurs.
C’est tout juste s’il y a
parfois quelques hameaux de ci de là, des villages
éparpillés au grès du
parcours et très peu de grandes villes. Et ces couleurs
rehaussées par un
soleil voilé, timide et une terre aux teintes
violacées, en raison de ces
nombreux oxydes de fer présents dans le sous-sol local. J’arrive
à
Moscou à 21h, après 8h de train qui sont
passés assez rapidement. Je dépose mes
affaires à l’hôtel où j'ai
réservé un lit par internet la veille. Je mange
un
sushi rapidement, dans un petit restaurant au pied du
bâtiment. Je sors : l'air
est frais, la nuit est clair, la lune est pleine. J'inspire
à plein poumon pour
la première fois depuis mon départ me
semble-t-il. J’ai les larmes aux yeux.
Une pensée m’étreint, elle
s’insinue en moi. « Je suis
vivant ! » Ce soir je suis heureux,
tout-sim-ple-ment. Un énorme
sourire se visse sur mes lèvres. Je rentre et me met au lit.
Je m’endors
aussitôt, repu et l’esprit enfin
rasséréné. Le
lendemain
je prends le métro Moscovite pour visiter le centre ville.
Je n'ai pris aucune
photo du métro de Moscou, c'est interdit. Mais oui, il est
blanc immaculé,
truffé de colonnades, d'encorbellements et de lustres
luxueux (trop peut-être,
pour ce qui n'est qu'un souterrain). On n’y trouve aucune
ordure qui traine.
Pas trace de poubelles non plus. Par contre, de nombreux agent de
police y font
leurs rondes quotidiennes, sans voir le jour de toute la
journée. Il y a de
nombreux pique-pocket également, à l'affut des
nombreux usagers souvent pressés
et tête en l'air ! Tout un monde qui frétille dans
les entrailles de cette
capitale souvent décrite par les russes eux-mêmes
comme une
« mégalopolis ».
J'abonde dans ce sens et je ne m’attendais pas à
une
telle démesure. S’en est presque beau. Je
commence
ma visite par le Kremlin, bien entendu. La place rouge est bien plus
petite
qu’il n’y parait sur les écrans de
télévision, cela en est presque
décevant.
Mais tout de même, ca fait quelque chose
d’être là ! Le tombeau de
Lénine
est toujours là. Non, non il n’a pas
bougé ! Sur le père de la
révolution, veille
d’illustre personnage tel que Staline dont la tombe est juste
derrière le
mausolée, en bas des murailles de ce château fort
qu’était le Kremlin à
l’origine. Je continue ma visite par la
basilique de Jésus le salvateur. Laissez-moi vous
dire que ce lieu est d’une
indescriptible beauté, d'une élégance,
d’un raffinement rare. Entre orient et
occident, les peintures qui ornent ici les parois
intérieures sont aux couleurs
vives et dorés à l'or fin. Elles
s'élèvent jusqu’au plafond. Sur la
coupole
centrale est peinte une allégorie de ce qui pourrait
être la source de la
création. Et Jésus enfant, est assit sur ses
genoux. L’œuvre a des proportions
monumentales, tout en couleurs rosées, bleutées
et terre de sienne, rehaussées ça
et là de liserés noir profond, rouge sang, ou
doré. Tout cela s'élève à
une
hauteur incroyable. L'armature est certainement en fer, comme pour
l'église du
sacré cœur à Paris. Il eut
été impossible autrement de monter si haut sans
arque
boutants placés hors les murs, afin de conserver toute la
pureté de cette
lumière. En-deçà
de
la coupole, ce sont des strates successives de fresques racontant
l'histoire
des femmes saintes et des prophètes : je crois y reconnaitre
le patriarche
Abraham à la droite du dais central, Moise à sa
gauche. Le dais me fait penser,
c'est incroyable, au saint des saints de la synagogue de Budapest.
Indescriptible, trop de détails infimes, précis,
redondants, un joyau superbe
dans un écrin qui n'a rien à lui envier. Les
photos sont interdites, pour le
voir il faudra venir à Moscou. Mais sachez qu'en ce lieu on
peut affirmer comme
Baudelaire, qu’ici « tout ici y parlerait
à l'âme en secret, sa douce
langue natale ». Autrefois, il parait que les
iconoclastes ont instaurées
le culte des images sacrées afin entre autre, de compter aux
peuples
analphabètes d'alors, les histoires de la bible. Eh bien
là c'est comme un
immense livre ouvert, pleins d'enluminures. Alors je me suis assis dans
un coin
et j'ai contemplé cette incomparable création
humaine. Le
soir
venu, je rentre à l’hôtel.
Là, j’y fais réellement connaissance
avec l’ensemble
des occupants qui étaient pour la plupart
déjà couchés hier soir. Un groupe de
jeunes finlandais et finlandaises partagent mon dortoir. Le second
dortoir de
l’auberge est occupé par une dizaine de jeunes
égyptiens, tous âgés de dix-huit
à vingt quatre ans (à ce qu’ils en
disent). Sur le coup tout semble on ne peut
plus normal. Puis, j’y réfléchi
à tête reposée et je me dit que les
jeunes
égyptiens de cet âge ne sont pas
spécialement réputés pour avoir un
pouvoir
d’achat assez élevé pour voyager aussi
loin de chez eux, aussi nombreux, aussi
jeunes… aussi beaux ? D’autant plus que
deux d’entre eux sont beaucoup
plus âgés, la quarantaine bien frappée.
Et ils n’ont rien
« d’éphèbes »
quant à eux. Je
laisse
ses pensées de coté en me disant qu’ils
seraient bien mal venus que j’ai moi,
des préjugés raciaux. Comme l’on dit
souvent, il est bon dans la vie d’être
d’un naturel avenant. Je fais comme si tout était
normal. Mais les finlandais
eux, semblent avoir quelque idées bien
arrêtée sur la raison de la venue de ses
jeunes gens en Russie. Pour ma part, je fais la conversation avec
certains
d’entre eux. Très vite nous en venons à
la question des origines sociales.
Question très importante en Afrique du nord : qui
tu es est en premier
lieux déterminé par l’endroit
où tu as grandi et les personnes que tu as
fréquentées alors. C’est ce que
j’appel, avec une énorme dose
d’affection et
d’autodérision,
« l’esprit du
clan » ! Ils apprennent mes
origines nord africaines, mais je poursuis tout de même la
conversation en
anglais (l’égyptien est vraiment une langue
difficile lorsqu’on n’en est pas
coutumier). Mais immédiatement, je fais partie de la
famille. Je suis l’un des membres
du clan. Ces gens ont
vraiment le cœur sur la main. Ils m’invitent
à leur table, me poussent
discrètement les meilleures mets. Nous mangeons tous autour
du même plat.
Parfois la vie, c’est bizarre. Au moment même
où je les vis, je sais que je
garderais ses moments si riche en simplicité, en
humanité, gravés au très fond
de moi pour la vie (surtout lorsque l’on sait ce qui arrivera
à ces jeunes gens
par la suite). Une chose en amenant une autre, nous voilà
discutant de tout et
de rien. Nous rions beaucoup. Ils sont très
étonnés de voir combien je suis
curieux d’en savoir plus sur leur vie au Caire. Toutefois,
ils restent assez
pudiques sur ce qu’ils faisaient exactement
là-bas. Je n’insiste pas. Mais
Ahmed le plus âgé, se ventent tout de
même de certains de ces exploit de
jeunesse : « tu sais moi,
j’ai beaucoup voyagé. Je suis même
resté plusieurs années en
Thaïlande ». L’une des
destinations les plus
chaudes de la planète !? Tu
m’étonnes ! Le
lendemain
matin, chacun de nous vaque à ses occupations de son
coté. Le soir venue de
nouveau, nous sommes là, chacun à
apporté de quoi manger et nous partageons
tout cela de manière fraternel. L’un des
finlandais se joint même à nous. Tout
semble pour le mieux, dans la meilleure des Russies. Cependant, au
cours de la
soirée les choses basculent brusquement. Deux policiers en
uniformes se
présentent à la porte de l’auberge (qui
se trouve pourtant au huitième étage,
qui ne donne pas sur la rue). Ils tentent très rapidement
d’intimider tout le
monde. Alors moi, coutumier du fait pour avoir passé pas mal
de temps en Algérie
dans les années quatre-vingt-dix (au moment du terrorisme de
la répression policière),
j’attends simplement de voir comment les choses vont se
passer, sans bouger. « Tu
viens d’où toi !? »,
me lance le premier. « Je ne parle pas
russe, navré », dans un russe passable.
« Mais si pourtant tu parles
russe !? » Je me dois donc d insister :
« je suis français, je
ne parle pas russe ».
« Ah… tu es
français ». Il ne fera plus
attention à moi de la soirée. « Et
vous, d’où venez-vous !? »,
demande-t-il au finlandais. Nous expliquons tous
ensemble et tant bien que mal qu’ils sont finlandais.
« Ok, dans vos
chambres, préparez vos passeport et ne bougez pas de vos
chambres,
ok !? ». Leur dit-il en anglais cette fois.
Le bougre, c’est qu’il parle
anglais quand il veut faire l’effort ! Les finlandais sont
blêmes, ils obtempèrent
sans broncher. Les policiers ne leur demanderont leurs passeports. Moi
je reste
sur le canapé à l’entrée de
l’auberge, où nous étions en train de
discuter avec
mes camarades égyptiens. J’observe la
scène. Les
jeunes
égyptiens sont comme au garde à vous. Ils se sont
tous mis debout, comme
coutumier de ce genre de contrôle policier soit disant
inopiné. Ils sont
contrôlé l’un après
l’autre, minutieusement. Ils sont tous en règle,
leurs
papiers sont enregistrés auprès du poste de
police le plus proche : c’est
une procédure à laquelle doivent se plier tous
les touristes en Russies. Pourtant,
les policiers ne semblent pas vouloir lâcher
l’affaire. Ils semblent chercher plus
que de simples papiers d’identités
en règles. C’est sans doute une autre sorte de
papier imprimé, que ces braves
représentants de l’ordre semblent vouloir
extorquer de ce groupe de jeunes
gens. Nasir, l’un des égyptiens les plus
âgés, feint de ne pas saisir au juste
ce que le policier attend de lui. Il est embarqué au poste
sans plus de
cérémonie. Je
passe les
heures qui suivent à tenter de rassurer les plus jeunes.
Même les finlandais sont
comme en état de choquent. Nous avons découvert
ce soir l’un des visages de la
Russie, dont parle de nombreux touristes :
pathétique. La pression ne
retombe totalement qu’au moment où Naser et Ahmed
finissent par revenir sains
et saufs du poste de police. Depuis l’entrée de
l’auberge il nous
lance : « oui, il voulait du
fric », comme pour répondre à
une question qui flottait silencieusement dans l’air depuis
des heures.
« Et pas un peu de fric. Le salopard m’a
pris quatre-cent
dollars ! » Oui, je vois, les policiers
corrompus d’ici comme d’ailleurs
semblent avoir des goûts de luxe. Nous passons le reste de la
soirée à tenter
de faire comme si rien de tout ceci ne c’était
passé. Mais le cœur n’y est
plus. Quelque chose s’est brisée. Nous ne sommes
déjà plus ensemble.
« Chaque homme dans sa nuit, s’en va vers
sa lumière », disait Victor
Hugo dans ses Lamentations. Eh bien
ces jeunes gens là eux, contrairement à moi, ne
peuvent se soustraire aux
pressions de ce genre de réseaux. Car bien entendu, tout le
monde comprendra
aisément (sauf heureusement les enfants qui suivent ce Tour
du monde et lisent
régulièrement ce blog), que je ne parle pas
là d'un réseau de vendeurs de
« petits pains »… D’ailleurs,
à bien y penser j’imagine sans trop
d’effort que ce genre de « petit
manège » est bien
rôdé. Le responsable de cette auberge, qui
à pourtant
pignon sur la rue piétonne principale de Moscou,
n’est sans doute rien de plus
qu’un marchand de sommeil.
Il va, il
vient. Il n’est que très rarement
présent. Ce sont les égyptiens qui
s’occupent
d’accueillir les nouveaux clients, tout comme ils
l’ont fait avec moi. Je
pensais que c’était juste un dépannage,
mais au regard des derniers évènements,
je suis sûr qu’il s’agit là
d’un commerce où chacun y à
trouvé son compte.
Aujourd’hui pourtant, il est bien là. Pour ma
part, je dois quitter l’hôtel ce
soir. Avec un immense plaisir, car l’hygiène
n’est certainement pas le point
fort de cette auberge. J’en ai même
attrapé une infection cutanée : trois
fois rien comparé à ce que ces jeunes gens vont
vivre. Mais tout de même,
lorsque l’on est à
l’étranger, seul, qu’on ne parle pas la
langue, l’on a autre
à faire que d’aller à la pharmacie pour
expliquer en mimant devant tout le
monde ses symptômes, en exhibant certaines
parties de son corps. Aujourd’hui tout est rentré
dans l’ordre, de ce point de
vue là. Cet hôtel avait pourtant de bonnes
évaluations sur internet. Mais il
vient tout juste de changer de propriétaire, semble-t-il.
Ceci pouvant
expliquer cela. Mes
camarades égyptiens eux, ne sont pas censés
quitter leur dortoir ce soir.
Néanmoins, le patron de l'auberge débarque
à l’improviste avec huit nouveaux
occupants pour le dortoir : « Oui,
je suis vraiment
désolé », leur dit-il,
« mais ce soir si vous n’avez pas
où allez,
vous allé devoir dormir dans la cuisine, par terre. Ou alors
il faut vous
chercher un autre hôtel… »
Cette raclure sait pertinemment qu’ici en
Russie, toute personne un tant soit peu typée ne trouve pas
de logement, pas de
travail digne de ce nom et encore moins au pied levé. Mais
attendez, le gentil
patron au grand cœur sort une solution toute prête
de son chapeau. Il prend
Ahmed, le plus âgé en aparté et lui
glisse à l’oreille. « Tu sais
Ahmed…
J’ai un autre hôtel un peu en dehors de la ville.
Alors bien sûr, il n’est pas
aussi propre que celui-ci (ah bon !? Qu’est-ce que
ça doit être alors !).
Mais si tu veux, vous pourrez y emménager dès
demain soir ». Oui,
tout
ceci semble bien accordé. Les
évènements de ces derniers jours se sont trop
bien succédé, contrairement aux apparences. Tout
cela n’est certainement pas à
une quelconque conjonction de circonstances malencontreuses. Je vois
d’ici le
tableau : ce marchand de sommeil repère un groupe
de jeunes gens
accompagnés de leur
« chaperon ». Ils les logent
à certaines
conditions, disons avantageuses. Puis, il prévient ses
copains de la police qui
font une descente surprise, histoire de faire comprendre à
ces gens qu’ils sont
tolérés en Russie, sans plus. Le patron
débarque le lendemain en insistant
lourdement sur le fait qu’il leur faut quitter les lieux. Par
exemple en
amenant avec lui des clients surprises, venus de nulle part (les guides
touristiques mettent en garde contre le surbooking pratiqués
par la plupart des
hôtels de la capitale ; oui, la Russie ne manque pas
de charme de ce point
de vue là non plus). Les jeunes gens et leurs chaperons
n’ont plus qu’à faire
leurs bagages, de se laisser conduire vers un hôtel encore
plus miteux que
celui-ci, la peur au ventre. J’assiste
à
ses évènements impuissants. J’en suis
malade ! Une sensation insupportable
qui s’en trouve amplifiée par le fait que je me
suis identifié à certain de ces
gosses. A l'un d'entre eux en particulier qui porte le même
premier prénom que
moi. C'est stupide sans doute, mais quelque part je sais pertinemment
que
j'aurais très bien pu être ce Mohamed
là. C'est une évidence qui me crève
les yeux.
Si mes parents n'avaient quittés l'Afrique du nord quelques
mois après ma
naissance, je serais lui. Je ne peux m'empêcher de me poser
la question de
savoir dans quel état seront ces jeunes adolescents
là dans un an. Auront-ils
fait le tour du monde des places
« chaudes » de la
planète, comme
leurs aînés. Où en sera leur
sérologie... Là
je stop
toute réflexion à ce sujet ! En même
temps que j’écris ces quelques lignes, une
vision macabre m'assaille à l'instant. Je ne peux plus
remuer tout cela en moi.
Le pire ! Le pire dans toute cette histoire c’est
que je suis conscient du
fait qu'au moins vingt pour cent des jeunes de ces pays là
seraient prêt à
vendre leur corps au premier
« macro » venu. Cela afin de
quitter la geôle
à ciel ouvert que sont certain pays, en raison de leur
appartenance à une
minorité sexuelle ou une autre. Ils sont prêts
à piétiner leur dignité, à
mettre de coté leur liberté afin d'être
en mesure de « vivre leur
vie ». Une illusion, tout un paradoxe en effet. Et
moi que puis-je faire pour
les aider ? Alertez la police, ces mêmes officiers
que j’ai vu débarquer
ici hier soir dans le but de leur extorquer de
l’argent !? Le mieux que je
puisse faire c’est de les laisser continuer de suivre cette
voie sur laquelle
ils se sont engagés, au Caire déjà.
Sans faire de vague, autrement ce sont sans
doute leurs soi-disant
« chaperons » qui leur feront
payer toute
insubordination. Avant qu’ils ne sachent que je parle
l’arabe, j’ai appris entre
autre en écoutant leur conversation, que les deux plus
âgés conservent tous les
passeports des plus jeunes. Toute tentative de fuite pour eux est
vouée à
l’échec ! Moscou.
Tout
un film, pas du tout à mon goût aux vues des
expériences que j’y ai
personnellement vécues. J’aimerais
décrire mon état d’esprit par le biais
d’un
courriel que j’ai fait parvenir à une amie
très chère. Je n’avais pas eu de
nouvelles d’elle depuis quelques temps
déjà : Ma
chère amie, Pour
tout te dire, par moment c'est
dur comme en ce moment à Moscou où je ne
m'attendais pas à trouver
les gens vivre dans une telle misère.
Malgré les façades modernes de beaucoup
d'immeubles et les enseignes lumineuses
qui poussent comme des champignons, des dizaines de babouchka trainent
sur leur
dos des sacs remplies de babioles à vendre, sur un coin du
trottoir. Et
ça n'est pas comme si je pouvais
fermer les yeux. Ces gens, je les vois partout : dans les trains nous
sommes
assis côtes à côtes des heures durant,
dans les hôtels nous dormons dans les
mêmes dortoirs. Mais
ca forge ma détermination, du
coup je n'ai pas le droit d'être autrement que totalement
authentique dans mes
intentions quant à cette initiative qui doit avant tout
faire du bien. Tout
simplement. Alors,
oui je tiens le coup et je
suis heureux, heureux d'avoir la chance d'accomplir ce voyage. Que tu
me dises
que tu ais été émue en lisant mon blog
est un encouragement précieux, tu
n'imagines pas combien d'entretenir un tel blog est gourmand en heures
de
travail. Je
te souhaite tout le bien, je
prends soin de moi et je te reverrais j'espère
très, très bientôt ! C'est
ainsi
que je quitte Moscou au plus tôt. Je suis de retour
à Saint-Pétersbourg par le
train de nuit, le mercredi 22 octobre à 5h du matin. Ces centaines de milliers |