Premiéres visions des
 
grandes plaines du

nord de la Russie


 Citée des tsars déchus

Saint-Pétersbourg  |  l'Européenne










Saint-Pétersbourg,
la plus européenne des villes russes.







    

Palais de l'Hérmitage
(Saint-Pétersbourg)










La grande Mosquée Bleue
(Saint-Pétersbourg)








 





























 
Vidéoconférence avec les enfants de Montigny-le-Bretonneux (IDF)
et leur institutrice : Mme Solène Ihaddadène,
le 14 octobre 2008


   
































La place rouge
(Moscou)







Basilique de Jésus le Salvateur
(Moscou)


















































































































































































































Moscou
(mégapolis)



























































Orphelinat "réservé" aux enfants séropositifs
(les locaux sont tout neufs, comme si cela justifié une telle discrimination....)








L'hôpital Botkin, Saint-Pétersbourg.
Un service y est réservé à la prise en charge des enfants séropositifs. C'est là l'un des seuls hôpitaux qui acceptent de traiter les séropositifs

(enfants, toxicaomnes, prostitués : souvent les trois à la fois. L'intérieur de l'établissement n'a rien à envier à l'éxtérieur)







L'hôpital Botkin, Saint-Pétersbourg
(L'intérieur est tout aussi sordide et lugubre)









L'hôpital Botkin, Saint-Pétersbourg
(il ne fait pas bon être séropositifs en Russie)









Le centre de dépistage se trouve dans un quartier des les plus excentrés de Saint-Pétersbourg.

(Le coût d'un bilan sanguin est de plus de la moitié du salaire minimum russe !)




















Metro Pionerskaya
(Moscou)









































































































L'adorable "Madame crêpes"
(auberge de jeunesse, Saint-Pétersbourg)















































































































































































Photos de Ludovic Zahed © 2008 | All rights reserved

Because AIDS orphans and HIV+ children deserve to laugh and be loved like any other child !


Les textes de ce blog, retravaillés,

sont désormais disponibles aux éditions l'harmattan (cliquez ici)





                La Russie . . .

        De charybde 

                    en scylla !

Après onze heures de train où je ne dors pas une seule fois, j’arrive à Vilnius. Je dois prendre le train pour Saint-Pétersbourg dans dix minutes, afin de voir demain la personne en charge de l’association qui s’occupe des enfants des rues en Russie. Je suis censé dormir dans le train et arriver juste à temps avant son départ pour l’Azerbaïdjan où elle séjournera quinze jours. Pourtant, et Dieu sais que je commence à m’habituer à la routine, à la gare il n’y a aucun office du tourisme et personne ne parle anglais : génial, j’adore ! Je décide de ne pas me stresser. Je me pose sur un bang et je réfléchi à la meilleure façon de passer la nuit sur Vilnius. De toute façon, je n’aurais pas ce fichu train. Je verrais les associations de Saint-Pétersbourg dès le retour dès leur retour d’un déplacement qui les retiendra hors des mûrs pendant au moins quinze jours.

Je me mets à la recherche d’un hôtel dans les rues de Vilnius, mon guide touristique du « lonely planet à la main »… sous des trombes d’eau ! Des bidons entiers sont vidés depuis tout là-haut. Je ne veux pas prendre de taxi (mon budget n’est pas inextensible). Je finis par arriver à « l’auberge de jeunesse locale », mais la femme qui tient la caisse, aimable comme une porte de prison, refuse de rester trois minutes de plus le temps de me louer une chambre.

Me voilà donc reparti pour un tour. Je finis par trouver un hôtel, clairement au-delà de mes moyens. Je me hasarde tout de même à l’intérieur, en tentant vainement de mettre un minimum d’ordre à ma tenue clairement débraillée à cause des conditions météo invraisemblables. Contre toutes attentes, je trouve à l’accueil une jeune femme adorable, vraiment. Les chambres de l’hôtel sont hors de prix. Elle m’aide toutefois à trouver une chambre à la portée de ma bourse. Cet hôtel est à dix minutes de marche de là, je ne suis plus à ça près. Cette nuit là, je dors du sommeil du juste ! Le lendemain matin, j’ai à peine le temps de flâner dans Vilnius sous un beau soleil, une fois n’est pas coutume. Et en début d’après-midi je prends le train de 18H12 pour Saint-Pétersbourg.

 

La Russie est une étape importante de mon voyage. J’ai prévue d’y séjourner un mois entier. D’autre part, c’est le premier pays où je dois accéder à l’aide d’un visa. C’est un peu d’émotion que de savoir que les douaniers pourraient, pris d’une folie quelconque, me refuser l’accès et ainsi compromettre la suite de mon périple. Toutefois, je constate également avec satisfaction que je suis absent depuis trois semaines, sans en éprouver le moindre mal du pays, bien au contraire. Il faut dire que dernièrement j’ai eut l’esprit bien occupé. Je n’ai pas chômé !

Dans le train, je partage ma cabine avec une certaine Nastia. Elle habite a Iekaterinbourg, elle a trois enfants : un de trente et deux jumeaux de 21 ans. Elle ne me croit pas lorsque je lui dis avoir l'âge de son fils le plus âgé. L'air dubitatif, elle secoue lentement la tête de droite à gauche : « tu ne fais pas ton âge » (En Russie non plus ? Comme c'est étonnant !?) Ma « gueule de gosse » me poursuivra-t-elle donc partout, où que j’aille !?

La conversation se poursuit tan bien que mal. Mon russe est plus qu'approximatif. Je dois excaver les maigres restes décharnés des quatre ans de russe étudiés à l'école. Mais tout de même, cahin-caha nous comprenons ce que chacun de nous à en tête. Elle me demande où je vais. Je lui montre mes autres visas : « Nooon.... toi !?". Eh oui, personne d'autre. « Et ta maman, son cœur bat pour toi ? », me demande-t-elle en faisant de grands gestes en directions de son opulente poitrine. « Si ma mère a peur pour moi ? Non, ca va je crois », je lui explique alors que ma mère pense que je m'arrête en Russie. Elle parait elle-même rassurée. Etonnant cette empathie matriarcale communicative, tout de même.

Elle me parle de Paris qu'elle a visité une fois à l'occasion de la coupe du monde de football. Alors je n'y coupe pas : elle me parle du "Louvrrre" en premier, puis elle égraine la liste des monuments qu'elle a visités. Autant dire que c’est long. Mais bon, on a rien d’autre à faire dans un train que de raconter n’importe quoi, l’un comme l’autre. Quoiqu'il en soit, cette femme me donne une impression des femmes qui ont pu inspirer l’image de la mamoushka russe. Nombreux sont les touristes déjà rencontrés sur ma route qui m'ont pourtant mis en garde contre la froideur russe. Nastia pourtant, c'est tout l'inverse. Il suffit de l'inviter du regard pour qu'elle reprenne ce flot de paroles inébranlables qui sont pour la plupart incompréhensibles à mes oreilles par trop incultes. Nous discutons de ci, de ça. Puis nous finissons par nous endormir.

Le lendemain matin, après une nuit mouvementée en raison des contrôles douaniers répétés, nous arrivons enfin sur les grandes plaines du nord de la Russie qui s'étendent à perte de vue, de part et d’autre du train. Puis c'est Leningrad comme l'appel encore Nastia, qui prend peu à peu le pas sur ces contrées sauvages ; tout doucement sur les derniers kilomètres de notre parcours, avec de petites constructions que l'on remarque à peine. Puis, c'est l'architecture gigantesque, carré, imperturbable qui s'installe. Je suis enfin en Russie, depuis quinze ans qu'on m'en parle !

Je ne sais pas si c'est un signe du destin, mais depuis quelques minutes déjà notre train semble se diriger vers un arc-en-ciel qui semble enjamber cette ville qui s'éveille. Le train s'arrête. J'aide Nastia à descendre ses bagages, elle est bien chargée. Puis je sors de la gare en direction du métro. Je découvre en plein air cette lumière typique des latitudes septentrionales : orangée, pastelle, comme émanant d'un soleil tamisé à l'ancienne.

 

Je trouve assez facilement l’hôtel que j’ai pris le soin de réserver depuis Vilnius, histoire d’éviter le genre d’expéditions que j’ai par trop connu ces dernières semaines. C’est ainsi qu’une fois installé dans cette petite chambre, je profite de cette première semaine de calme relatif depuis mon départ, afin de mettre en ordre le blog qui à sérieusement besoin d’un coup de propre ! Je retravaille certaines photos, je relis les textes déjà mis en ligne, je rédige le récit de mes dernières aventures. Bonant-mallant, je parviens au bout de 6 jours enfermé dans cette chambre d’hôtel à un résultat satisfaisant. Je prends également le temps de découvrir certains des monuments de cette ville nouvelle, âgée de trois cent ans à peine, que beaucoup considèrent comme la plus européenne des villes russes. Chaque soir à la nuit tombée, de loin le plus agréable moment de la journée selon moi, je parcours les rues de la ville dans un froid surprenant pour cette première quinzaine du mois d’octobre.

Saint-Pétersbourg a été fondée par le grand tsar, Pierre 1er. Un Souverain désireux de construite aux portes septentrionales de l'Europe, une ville moderne aux bras grands ouverts sur le golfe de Finlande et la mer Baltique. Construite sur des marécages, rançon d’une longue guerre contre les puissantes armées suédoises du dix-huitième siècle, l'architecte français Leblond trouve là matière à créer autour de la rivière Neva sa « ville idéale ».

Le résultat ? C’est difficile à dire. Cette ville est comme une juxtaposition de belles demeures européennes, en pierre, carrées, aux décorations baroques outrancières qui souvent les font ressemblées à des gâteaux envahis d’un amoncellement de chantilly. Dan, un jeune londonien de vingt et un ans qui partage le même petit dortoir que moi à l’auberge de jeunesse, me dit que pour lui c’est comme si les bâtisseurs de cette cité avaient dans l’idée de « prendre toutes les belles et grandes demeures d’Europe pour les placer les unes à coté des autres, ici à Saint-Pétersbourg ». Il ‘en dégage l’impression de quelque chose de « surfait ». Un effet qui s'en trouve renforcée par toutes ces couleurs pastels dont tous les murs de la ville sont enduits. Certains adorent et l’a surnomme la Venise du nord. D’autre comme le célèbre Pouchkine la décrive comme « fastueuse et pauvre ». Qui peut le contredire en ces temps où la Russie loin d’avoir retrouvée ses fastes d’antan, n’a semble-t-il pas les moyens d’entretenir toutes les façades de ces bâtiments si outrancièrement décorés.

Prenez l'Hermitage par exemple : un blocosse baroque, aux murs extérieurs peints en vert olive profond. Pas terrible, non. L'intérieur par contre m'a laissé sans voix ! Et pourtant il en faut pour me clouer le bec, n’est-ce pas. De superbes salles d’expositions, décorées de manière très éclectique. Cela va du style Directoire, à la reproduction stylisée de l'intérieur des demeures grecques : des plafonds somptueusement peints de couleurs vives et chatoyantes, d’autres salles ont les mûrs recouverts de mosaïques parfaitement entretenues. L'une des pièces au rez-de-chaussée m'a immédiatement fait penser aux descriptions de la salle du trône des padichas de l’antique Persépolis (au sud est de l'actuel Iran).

Quant aux collections, le must. Je me suis particulièrement attardé dans la galerie réservée aux nombreux Rembrandt. J'adore cette maitrise de la lumière ! Là, j‘ai gardé le meilleure pour la fin : je suis resté coi d'admiration, bien 20 minutes à me délecter de la « madone à l’enfant  » de Léonard de Vinci. Et c'est un peu ca Saint-Pétersbourg : un écrin quelque peu outrancier, trop démonstratif à mon goût, pour une perle de finesse et d'élégance lorsque l'on sait où poser le regard.

 

Après ces premières semaines vécues sur des charbons ardents, afin de respecter un agenda bien chargé pour le début de ce tour du monde, j’avais besoin de temps afin de digérer au moins en partie ces expériences vécues, notamment au contact des enfants polonais. Comme de bien entendu, j’ai ruminé ce vécu ces derniers jours. Comme toujours lorsque l’on rumine, ce qui remonte à la surface de notre conscience, le plus évident n’est jamais le plus important. Je suis habitué à ce genre de processus où je sens bien que quelque chose a du mal à passer. Quelque chose a du mal à être intégré au reste de mon équilibre psychique. Quelque chose, mais quoi !?

Je laisse faire ces processus sous-jacents et je patiente, le temps d’être en mesure d’associer une représentation consciente sur ces affects qui semblent peser sur mon état d'âme actuel. Mais j’ai dans l’idée que le témoignage de ces jeunes filles polonaise qui vivent avec le Sida depuis toujours, a trop raisonné en moi. La prochaine fois, je devrais renforcer mes défenses et rester fixé sur les nobles fins de cette initiative, auquel cas je risque fort de ne jamais en venir à bout. Mais tout de même, une question me hante, comme le refrain d’une chanson que l’on ne parvient pas à chasser de son esprit. Je me demande : « mais comment est-il possible que de si jeune enfants aient à vivre avec ce genre de maladie !? »

J'ai, il y a quelques temps déjà, aboutit à ce que je vois rétrospectivement comme une longue et pénible prise de recul par rapport à ce genre d’évènements. Au fil des ans, je pense être parvenu à trouver une conception des « choses de la vie » qui me sied. De manière générale, je pense qu'il ne suffit pas de rester les bras croisés à déclamer de grandes phrases sur les raisons qui peuvent pousser le destin, le ciel ou la terre à laisser ce genre de choses se produire. De mon point de vue, l’action se doit de suivre la réflexion.

Pour autant, je n'ai jamais eu l’âme d'un révolutionnaire, perpétuellement en révolte contre l'ordre établi. Au contraire, je suis plutôt du genre à jauger quel est mon devoir et à m'astreindre de l'accomplir. Aujourd'hui je comprends pourquoi nombre de philosophes et de penseurs voient l'intention d'agir comme le premier pavé sur la route de la libération du soi. Mais paradoxalement, il est bon de m'apercevoir que cet équilibre durement élaboré est instable, dans une certaine mesure. Mon équilibre n’est pas sclérosé, il reste ouvert au doute. C’est à mon sens la preuve que la partie de moi à laquelle j’accorde le plus d’importance, est toujours vivante.

Le quatorze octobre au matin, la vidéoconférence que j’ai avec les enfants de Montigny-Le-Bretonneux achèvent les derniers doutes qui subsistent en moi quant au bien fondé d’un tel voyage. Ces enfants qui suivent le tour du monde depuis le début, tous comme les enfants de Nanterre, sont pour moi une grande source de réconfort ! Ils ont des tonnes de questions très pertinentes sur ce que c’est la Sida, sur la vie de ces enfants qui sont confrontés à la maladie. Alors je tente tant bien que mal à improviser une définition sommaire des mots virus, maladie, Sida etc. Je sais de source sûre que ces informations sommaires seront étudiées de nouveau avec les enfants. Notamment à Nanterre, où les acteurs de la vie citoyenne là-bas font un travaille formidable. Ils ont entre autre chose, entamer un programme d’instructions et de prévention santé-Sida. Pour moi il est exaltant de savoir que ce voyage aura également servi à cela. Les enfants ont aussi des questions concernant mes petits mensonges : « et pourquoi tu as dis à ta maman que tu partais juste en Russie ». D’une part, cela prouve qu’ils ont lu tous ce que j’ai écrits, rigoureusement. Par ailleurs, ils semblent avoir un sens aigu de la véracité des propos que l’on se doit d’avoir avec ses parents. C’est bien !

Ce ne sont pas que des mots ou des images que nous échangeons : nos contacts réguliers me permettent de garder à l’esprit, encore et encore, que ce voyage donne du rêve et un peu de bonheur, à des enfants qui, un jour surement, feront de notre monde un endroit un peu meilleur que le monde que nous leur aurons légué. Tout le reste m’importe peu à vrai dire. Ce que je ressens par rapport à cela est difficile à exprimer. Disons que, des années durant on a en soi une certaine idée du bonheur, on gigote dans tous les sens, on s’échine de pleins de façons différentes pour « avoir ce que l’on veut », dit-on. Et puis un beau matin on se réveil, une idée folle dans la tête. On la met en pratique et très vite on comprend que ce que d’aucuns appellent la vérité est là. La vie est courte certes. Mais elle pourrait durer dix mille ans qu’elle n’en aurait pas plus de valeur, pour peu que l’on parvienne à conserver son regard intérieur fixé sur ses propres nobles fins.

 

C’est dans cet état d’esprit, mi-figue mi-raisin mais tout de même bien plus au clair avec moi-même, que je prends le train pour Moscou où j’ai prévu de passer un long week-end, avant ma rencontre avec les associations de Saint-Pétersbourg la semaine prochaine. Tout au long du trajet, les forêts verdoyantes, les lacs immenses du nord de la Russie, les plaines à perte de vue entre Moscou et Saint-Pétersbourg achèvent de calmer mes humeurs. C’est tout juste s’il y a parfois quelques hameaux de ci de là, des villages éparpillés au grès du parcours et très peu de grandes villes. Et ces couleurs rehaussées par un soleil voilé, timide et une terre aux teintes violacées, en raison de ces nombreux oxydes de fer présents dans le sous-sol local.

J’arrive à Moscou à 21h, après 8h de train qui sont passés assez rapidement. Je dépose mes affaires à l’hôtel où j'ai réservé un lit par internet la veille. Je mange un sushi rapidement, dans un petit restaurant au pied du bâtiment. Je sors : l'air est frais, la nuit est clair, la lune est pleine. J'inspire à plein poumon pour la première fois depuis mon départ me semble-t-il. J’ai les larmes aux yeux. Une pensée m’étreint, elle s’insinue en moi. « Je suis vivant ! » Ce soir je suis heureux, tout-sim-ple-ment. Un énorme sourire se visse sur mes lèvres. Je rentre et me met au lit. Je m’endors aussitôt, repu et l’esprit enfin rasséréné.

Le lendemain je prends le métro Moscovite pour visiter le centre ville. Je n'ai pris aucune photo du métro de Moscou, c'est interdit. Mais oui, il est blanc immaculé, truffé de colonnades, d'encorbellements et de lustres luxueux (trop peut-être, pour ce qui n'est qu'un souterrain). On n’y trouve aucune ordure qui traine. Pas trace de poubelles non plus. Par contre, de nombreux agent de police y font leurs rondes quotidiennes, sans voir le jour de toute la journée. Il y a de nombreux pique-pocket également, à l'affut des nombreux usagers souvent pressés et tête en l'air ! Tout un monde qui frétille dans les entrailles de cette capitale souvent décrite par les russes eux-mêmes comme une « mégalopolis ». J'abonde dans ce sens et je ne m’attendais pas à une telle démesure. S’en est presque beau.

Je commence ma visite par le Kremlin, bien entendu. La place rouge est bien plus petite qu’il n’y parait sur les écrans de télévision, cela en est presque décevant. Mais tout de même, ca fait quelque chose d’être là ! Le tombeau de Lénine est toujours là. Non, non il n’a pas bougé ! Sur le père de la révolution, veille d’illustre personnage tel que Staline dont la tombe est juste derrière le mausolée, en bas des murailles de ce château fort qu’était le Kremlin à l’origine. Je continue ma visite par la basilique de Jésus le salvateur. Laissez-moi vous dire que ce lieu est d’une indescriptible beauté, d'une élégance, d’un raffinement rare. Entre orient et occident, les peintures qui ornent ici les parois intérieures sont aux couleurs vives et dorés à l'or fin. Elles s'élèvent jusqu’au plafond. Sur la coupole centrale est peinte une allégorie de ce qui pourrait être la source de la création. Et Jésus enfant, est assit sur ses genoux. L’œuvre a des proportions monumentales, tout en couleurs rosées, bleutées et terre de sienne, rehaussées ça et là de liserés noir profond, rouge sang, ou doré. Tout cela s'élève à une hauteur incroyable. L'armature est certainement en fer, comme pour l'église du sacré cœur à Paris. Il eut été impossible autrement de monter si haut sans arque boutants placés hors les murs, afin de conserver toute la pureté de cette lumière.

En-deçà de la coupole, ce sont des strates successives de fresques racontant l'histoire des femmes saintes et des prophètes : je crois y reconnaitre le patriarche Abraham à la droite du dais central, Moise à sa gauche. Le dais me fait penser, c'est incroyable, au saint des saints de la synagogue de Budapest. Indescriptible, trop de détails infimes, précis, redondants, un joyau superbe dans un écrin qui n'a rien à lui envier. Les photos sont interdites, pour le voir il faudra venir à Moscou. Mais sachez qu'en ce lieu on peut affirmer comme Baudelaire, qu’ici « tout ici y parlerait à l'âme en secret, sa douce langue natale ». Autrefois, il parait que les iconoclastes ont instaurées le culte des images sacrées afin entre autre, de compter aux peuples analphabètes d'alors, les histoires de la bible. Eh bien là c'est comme un immense livre ouvert, pleins d'enluminures. Alors je me suis assis dans un coin et j'ai contemplé cette incomparable création humaine.

 

Le soir venu, je rentre à l’hôtel. Là, j’y fais réellement connaissance avec l’ensemble des occupants qui étaient pour la plupart déjà couchés hier soir. Un groupe de jeunes finlandais et finlandaises partagent mon dortoir. Le second dortoir de l’auberge est occupé par une dizaine de jeunes égyptiens, tous âgés de dix-huit à vingt quatre ans (à ce qu’ils en disent). Sur le coup tout semble on ne peut plus normal. Puis, j’y réfléchi à tête reposée et je me dit que les jeunes égyptiens de cet âge ne sont pas spécialement réputés pour avoir un pouvoir d’achat assez élevé pour voyager aussi loin de chez eux, aussi nombreux, aussi jeunes… aussi beaux ? D’autant plus que deux d’entre eux sont beaucoup plus âgés, la quarantaine bien frappée. Et ils n’ont rien « d’éphèbes » quant à eux.

Je laisse ses pensées de coté en me disant qu’ils seraient bien mal venus que j’ai moi, des préjugés raciaux. Comme l’on dit souvent, il est bon dans la vie d’être d’un naturel avenant. Je fais comme si tout était normal. Mais les finlandais eux, semblent avoir quelque idées bien arrêtée sur la raison de la venue de ses jeunes gens en Russie. Pour ma part, je fais la conversation avec certains d’entre eux. Très vite nous en venons à la question des origines sociales. Question très importante en Afrique du nord : qui tu es est en premier lieux déterminé par l’endroit où tu as grandi et les personnes que tu as fréquentées alors. C’est ce que j’appel, avec une énorme dose d’affection et d’autodérision, « l’esprit du clan » ! Ils apprennent mes origines nord africaines, mais je poursuis tout de même la conversation en anglais (l’égyptien est vraiment une langue difficile lorsqu’on n’en est pas coutumier). Mais immédiatement, je fais partie de la famille. Je suis l’un des membres du clan. Ces gens ont vraiment le cœur sur la main. Ils m’invitent à leur table, me poussent discrètement les meilleures mets. Nous mangeons tous autour du même plat. Parfois la vie, c’est bizarre. Au moment même où je les vis, je sais que je garderais ses moments si riche en simplicité, en humanité, gravés au très fond de moi pour la vie (surtout lorsque l’on sait ce qui arrivera à ces jeunes gens par la suite). Une chose en amenant une autre, nous voilà discutant de tout et de rien. Nous rions beaucoup. Ils sont très étonnés de voir combien je suis curieux d’en savoir plus sur leur vie au Caire. Toutefois, ils restent assez pudiques sur ce qu’ils faisaient exactement là-bas. Je n’insiste pas. Mais Ahmed le plus âgé, se ventent tout de même de certains de ces exploit de jeunesse : « tu sais moi, j’ai beaucoup voyagé. Je suis même resté plusieurs années en Thaïlande ». L’une des destinations les plus chaudes de la planète !? Tu m’étonnes !

Le lendemain matin, chacun de nous vaque à ses occupations de son coté. Le soir venue de nouveau, nous sommes là, chacun à apporté de quoi manger et nous partageons tout cela de manière fraternel. L’un des finlandais se joint même à nous. Tout semble pour le mieux, dans la meilleure des Russies. Cependant, au cours de la soirée les choses basculent brusquement. Deux policiers en uniformes se présentent à la porte de l’auberge (qui se trouve pourtant au huitième étage, qui ne donne pas sur la rue). Ils tentent très rapidement d’intimider tout le monde. Alors moi, coutumier du fait pour avoir passé pas mal de temps en Algérie dans les années quatre-vingt-dix (au moment du terrorisme de la répression policière), j’attends simplement de voir comment les choses vont se passer, sans bouger. « Tu viens d’où toi !? », me lance le premier. « Je ne parle pas russe, navré », dans un russe passable. « Mais si pourtant tu parles russe !? » Je me dois donc d insister : « je suis français, je ne parle pas russe ». « Ah… tu es français ». Il ne fera plus attention à moi de la soirée.

« Et vous, d’où venez-vous !? », demande-t-il au finlandais. Nous expliquons tous ensemble et tant bien que mal qu’ils sont finlandais. « Ok, dans vos chambres, préparez vos passeport et ne bougez pas de vos chambres, ok !? ». Leur dit-il en anglais cette fois. Le bougre, c’est qu’il parle anglais quand il veut faire l’effort ! Les finlandais sont blêmes, ils obtempèrent sans broncher. Les policiers ne leur demanderont leurs passeports. Moi je reste sur le canapé à l’entrée de l’auberge, où nous étions en train de discuter avec mes camarades égyptiens. J’observe la scène.

Les jeunes égyptiens sont comme au garde à vous. Ils se sont tous mis debout, comme coutumier de ce genre de contrôle policier soit disant inopiné. Ils sont contrôlé l’un après l’autre, minutieusement. Ils sont tous en règle, leurs papiers sont enregistrés auprès du poste de police le plus proche : c’est une procédure à laquelle doivent se plier tous les touristes en Russies. Pourtant, les policiers ne semblent pas vouloir lâcher l’affaire. Ils semblent chercher plus que de simples papiers d’identités en règles. C’est sans doute une autre sorte de papier imprimé, que ces braves représentants de l’ordre semblent vouloir extorquer de ce groupe de jeunes gens. Nasir, l’un des égyptiens les plus âgés, feint de ne pas saisir au juste ce que le policier attend de lui. Il est embarqué au poste sans plus de cérémonie.

Je passe les heures qui suivent à tenter de rassurer les plus jeunes. Même les finlandais sont comme en état de choquent. Nous avons découvert ce soir l’un des visages de la Russie, dont parle de nombreux touristes : pathétique. La pression ne retombe totalement qu’au moment où Naser et Ahmed finissent par revenir sains et saufs du poste de police. Depuis l’entrée de l’auberge il nous lance : « oui, il voulait du fric », comme pour répondre à une question qui flottait silencieusement dans l’air depuis des heures. « Et pas un peu de fric. Le salopard m’a pris quatre-cent dollars ! » Oui, je vois, les policiers corrompus d’ici comme d’ailleurs semblent avoir des goûts de luxe. Nous passons le reste de la soirée à tenter de faire comme si rien de tout ceci ne c’était passé. Mais le cœur n’y est plus. Quelque chose s’est brisée. Nous ne sommes déjà plus ensemble. « Chaque homme dans sa nuit, s’en va vers sa lumière », disait Victor Hugo dans ses Lamentations. Eh bien ces jeunes gens là eux, contrairement à moi, ne peuvent se soustraire aux pressions de ce genre de réseaux. Car bien entendu, tout le monde comprendra aisément (sauf heureusement les enfants qui suivent ce Tour du monde et lisent régulièrement ce blog), que je ne parle pas là d'un réseau de vendeurs de « petits pains »…

D’ailleurs, à bien y penser j’imagine sans trop d’effort que ce genre de « petit manège » est bien rôdé. Le responsable de cette auberge, qui à pourtant pignon sur la rue piétonne principale de Moscou, n’est sans doute rien de plus qu’un marchand de sommeil. Il va, il vient. Il n’est que très rarement présent. Ce sont les égyptiens qui s’occupent d’accueillir les nouveaux clients, tout comme ils l’ont fait avec moi. Je pensais que c’était juste un dépannage, mais au regard des derniers évènements, je suis sûr qu’il s’agit là d’un commerce où chacun y à trouvé son compte. Aujourd’hui pourtant, il est bien là. Pour ma part, je dois quitter l’hôtel ce soir. Avec un immense plaisir, car l’hygiène n’est certainement pas le point fort de cette auberge. J’en ai même attrapé une infection cutanée : trois fois rien comparé à ce que ces jeunes gens vont vivre. Mais tout de même, lorsque l’on est à l’étranger, seul, qu’on ne parle pas la langue, l’on a autre à faire que d’aller à la pharmacie pour expliquer en mimant devant tout le monde ses symptômes, en exhibant certaines parties de son corps. Aujourd’hui tout est rentré dans l’ordre, de ce point de vue là. Cet hôtel avait pourtant de bonnes évaluations sur internet. Mais il vient tout juste de changer de propriétaire, semble-t-il. Ceci pouvant expliquer cela.

Mes camarades égyptiens eux, ne sont pas censés quitter leur dortoir ce soir. Néanmoins, le patron de l'auberge débarque à l’improviste avec huit nouveaux occupants pour le dortoir : « Oui, je suis vraiment désolé », leur dit-il, « mais ce soir si vous n’avez pas où allez, vous allé devoir dormir dans la cuisine, par terre. Ou alors il faut vous chercher un autre hôtel… » Cette raclure sait pertinemment qu’ici en Russie, toute personne un tant soit peu typée ne trouve pas de logement, pas de travail digne de ce nom et encore moins au pied levé. Mais attendez, le gentil patron au grand cœur sort une solution toute prête de son chapeau. Il prend Ahmed, le plus âgé en aparté et lui glisse à l’oreille. « Tu sais Ahmed… J’ai un autre hôtel un peu en dehors de la ville. Alors bien sûr, il n’est pas aussi propre que celui-ci (ah bon !? Qu’est-ce que ça doit être alors !). Mais si tu veux, vous pourrez y emménager dès demain soir ».

Oui, tout ceci semble bien accordé. Les évènements de ces derniers jours se sont trop bien succédé, contrairement aux apparences. Tout cela n’est certainement pas à une quelconque conjonction de circonstances malencontreuses. Je vois d’ici le tableau : ce marchand de sommeil repère un groupe de jeunes gens accompagnés de leur « chaperon ». Ils les logent à certaines conditions, disons avantageuses. Puis, il prévient ses copains de la police qui font une descente surprise, histoire de faire comprendre à ces gens qu’ils sont tolérés en Russie, sans plus. Le patron débarque le lendemain en insistant lourdement sur le fait qu’il leur faut quitter les lieux. Par exemple en amenant avec lui des clients surprises, venus de nulle part (les guides touristiques mettent en garde contre le surbooking pratiqués par la plupart des hôtels de la capitale ; oui, la Russie ne manque pas de charme de ce point de vue là non plus). Les jeunes gens et leurs chaperons n’ont plus qu’à faire leurs bagages, de se laisser conduire vers un hôtel encore plus miteux que celui-ci, la peur au ventre.

J’assiste à ses évènements impuissants. J’en suis malade ! Une sensation insupportable qui s’en trouve amplifiée par le fait que je me suis identifié à certain de ces gosses. A l'un d'entre eux en particulier qui porte le même premier prénom que moi. C'est stupide sans doute, mais quelque part je sais pertinemment que j'aurais très bien pu être ce Mohamed là. C'est une évidence qui me crève les yeux. Si mes parents n'avaient quittés l'Afrique du nord quelques mois après ma naissance, je serais lui. Je ne peux m'empêcher de me poser la question de savoir dans quel état seront ces jeunes adolescents là dans un an. Auront-ils fait le tour du monde des places « chaudes » de la planète, comme leurs aînés. Où en sera leur sérologie...

Là je stop toute réflexion à ce sujet ! En même temps que j’écris ces quelques lignes, une vision macabre m'assaille à l'instant. Je ne peux plus remuer tout cela en moi. Le pire ! Le pire dans toute cette histoire c’est que je suis conscient du fait qu'au moins vingt pour cent des jeunes de ces pays là seraient prêt à vendre leur corps au premier « macro » venu. Cela afin de quitter la geôle à ciel ouvert que sont certain pays, en raison de leur appartenance à une minorité sexuelle ou une autre. Ils sont prêts à piétiner leur dignité, à mettre de coté leur liberté afin d'être en mesure de « vivre leur vie ». Une illusion, tout un paradoxe en effet. Et moi que puis-je faire pour les aider ? Alertez la police, ces mêmes officiers que j’ai vu débarquer ici hier soir dans le but de leur extorquer de l’argent !? Le mieux que je puisse faire c’est de les laisser continuer de suivre cette voie sur laquelle ils se sont engagés, au Caire déjà. Sans faire de vague, autrement ce sont sans doute leurs soi-disant « chaperons » qui leur feront payer toute insubordination. Avant qu’ils ne sachent que je parle l’arabe, j’ai appris entre autre en écoutant leur conversation, que les deux plus âgés conservent tous les passeports des plus jeunes. Toute tentative de fuite pour eux est vouée à l’échec !

 

Moscou. Tout un film, pas du tout à mon goût aux vues des expériences que j’y ai personnellement vécues. J’aimerais décrire mon état d’esprit par le biais d’un courriel que j’ai fait parvenir à une amie très chère. Je n’avais pas eu de nouvelles d’elle depuis quelques temps déjà :

 

Ma chère amie,

Pour tout te dire, par moment c'est dur comme en ce moment à Moscou où je ne m'attendais pas à  trouver les gens vivre dans une telle misère. Malgré les façades modernes de beaucoup d'immeubles et les enseignes lumineuses qui poussent comme des champignons, des dizaines de babouchka trainent sur leur dos des sacs remplies de babioles à vendre, sur un coin du trottoir.

Et ça n'est pas comme si je pouvais fermer les yeux. Ces gens, je les vois partout : dans les trains nous sommes assis côtes à côtes des heures durant, dans les hôtels nous dormons dans les mêmes dortoirs.

Mais ca forge ma détermination, du coup je n'ai pas le droit d'être autrement que totalement authentique dans mes intentions quant à cette initiative qui doit avant tout faire du bien. Tout simplement.

Alors, oui je tiens le coup et je suis heureux, heureux d'avoir la chance d'accomplir ce voyage. Que tu me dises que tu ais été émue en lisant mon blog est un encouragement précieux, tu n'imagines pas combien d'entretenir un tel blog est gourmand en heures de travail.

Je te souhaite tout le bien, je prends soin de moi et je te reverrais j'espère très, très bientôt !

 

C'est ainsi que je quitte Moscou au plus tôt. Je suis de retour à Saint-Pétersbourg par le train de nuit, le mercredi 22 octobre à 5h du matin.

 

 

 

 

            Ces centaines de milliers 


                    d’enfants russes . . .

 

Lors de ma dernière visite à Saint-Pétersbourg, j’ai déjà eu l’occasion de visiter certaines institutions. J’ai ainsi pu constater que Les analyses sanguines coutent 280 roubles. Ce qui équivaut au bas mot à une semaine de denrées alimentaire de base pour les plus pauvres des plus pauvres. Ici tous comme en Pologne, je ne serais pas étonné si certains parents se privent de nourriture afin de faire suivre leur enfant. Concernant les enfants vulnérables, en Russie le gouvernement semble préférer la dénomination d'enfants « négligés » (la raison du choix de la dénomination de ces enfants est explicitée en annexe de nos rapports de collaboration, disponibles en première page du site de TDM-ES).

Déjà ça, c’est bizarre : pourquoi diable choisir une dénomination autre que celle utilisée au niveau international. Pour quelle raison un tel subterfuge, si ce n’est pour tourner les choses autrement, pour camoufler certains problèmes. Probablement est-ce là une façon pour les autorités russes de nier l’existence même de ces enfants ? Et de fait pour la Russie, les enfants des rues n’existent plus, selon les autorités.

Toujours selon eux, c’est un phénomène qui est apparu dans les années quatre-vingt dix, à la suite du chute du mûr et du démantèlement de l’URSS. C’était une époque où la Russie était au plus bas (encore plus bas qu’aujourd’hui, vraiment…!?). Beaucoup de pères et de mères de famille étaient désœuvrés, sans le sou et trouvaient pour beaucoup un refuge illusoire dans l’alcool ou la drogue.

 

Pourtant, selon une étude universitaire récente, près de quarante pour cent de ces enfants sont séropositifs à Saint-Pétersbourg. Et là peu importe la dénomination exact qu’on veuille bien leur accorder, ces statistiques sont dramatiques ! Notons au passage que cette étude est des plus sérieuses, menées par une célèbre université américaine, en collaboration avec la plupart des acteurs sociaux et des associations présentes sur le terrain, qui font un travail remarquable à Saint-Pétersbourg.

D’autres statistiques qui concernent l’ensemble du territoire cette fois-ci, estiment le nombre d'enfants et d'adolescents des rues en Russie à plus de deux millions. Lorsque l’on recoupe l’ensemble de ces statistiques, on arrive à une estimation dramatique de plus de deux cent mille enfants séropositifs en Russie (et croyez moi, c’est une estimation optimiste, trois fois en deca des chiffres les plus alarmistes). Une véritable catastrophe humanitaire, tout simplement niée par le gouvernement !

Que l’on appel ces enfants « négligés », ou « enfants à risques », le problème reste entier : comment venir à bout de cette problématique apparue à la suite de l'effondrement de l'union soviétique. Le monde entier sait que cela à été une période noire pour la Russie. Depuis lors, le phénomène a sensiblement régressé. Toutefois, le plus gros de la besogne reste à faire, c'est une tache de longue haleine. C'est que le problème est éminemment complexe.

 

Tout d’abord, les autorités s’obstinent à nier les faits. Pour le gouverneur de Saint-Pétersbourg par exemple, il n'y a plus de problème d'enfants des rues. Elle ne doit pas vivre dans le Saint-Pétersbourg que j'ai visité, car il suffit de se promener en centre ville à Newsky Prospect par exemple, pour en croiser des dizaines, qui font la manche à toute heure. Il parait que certains d'entre se ventent d'être en mesure de se faire jusqu'à 150 dollars par jour.

Et c'est bien là l’autre aspect du problème : une fois ces enfants dans la rue, ils sont marginalisés par ses mêmes adultes qui les ont amenés à s'enfuir de chez eux (alcoolismes ou toxicomanies des parents, violences, abus sexuels etc.). C’est ainsi qu’ils n'ont plus aucune envie de se réinsérer au sein de la société. D'autant plus qu'ils sont assez rapidement récupérés par des sortes de "bandes" dirigés par des adolescents plus âgés. Ces groupes de jeunes délinquants sont en général spécialisés dans une activité criminelle ou une autre : pique-pocket, trafic de drogue et même prostitutions pour un grand nombre d'entre eux. Tout cela les fait vivre dans un monde illusoire de relative "liberté", par rapport aux conditions de vie souvent impossibles dans lesquelles ils ont grandis pour la plupart d'entre eux. C'est ce qu'ils nomment eux-mêmes la « street life » : l'argent et le sexe facile.

Mais tout est loin d’être rose pour autant. Ce serait sans compter les séjours réguliers en prison où ils sont parfois plus de cent à dormir dans des cellules insalubres, conçues pour une vingtaine de détenus. Alors ils dorment à tour de rôle, 3h par nuit chacun, pas plus. Des conditions de détentions qui finissent rapidement de les convaincre que le monde des adultes n'a rien à leur offrir.

 

Il faut noter que tout se dont je parle ici, est issu de témoignages que j'ai entendu de vive voix et en personne, ou d'étude scientifiques on ne plus sérieuses. Je n’exagère rien, bien au contraire je ne dit pas tout. Sachez que la vérité est encore bien plus "crasse" que  le tableau que je dépeins ici. Je n'ai cessé d’être littéralement effrayé, au sens premier du terme, par ce que j’ai découvert lors de ce mois passé en Russie. Juste un exemple : l'une des associations dont je tairais le nom (je ne citerais personne, la situation russe est bien trop délicate) m'a montré la photo d'une fillette de moins de quinze ans, vivant dans la rue depuis plusieurs années. Aux dernières nouvelles, elle est toujours vivante. Mais elle n'a plus une seule de ces dents, on l'a amputée de l'un de ces doigts et elle a subit une intervention chirurgicale afin de lui retirer l’un de ses poumons. Elle est séropositive, positive à l'hépatite, toxicomane et droguée (la plupart des enfants ici se droguent à l’héroïne, la cocaïne reste la drogue de « l’élite » comme ils disent). Pourtant elle dit à qui veut bien l'entendre qu'elle va très bien, qu'elle ne changerait de mode de vie pour rien au monde (je ne montrerais aucune de ces photos, pourtant l’association en question l’a proposé ; je ne le ferais pas, non pas par peur de choquer mais pour des raisons de politiques associatives).

La question qui m'a sauté aux lèvres c'est :" mais pourquoi ne l'internez-vous pas de force dans l'un des orphelinats spécialisés ?". La réponse est sans équivoque :" si on fait ça, elle s'enfuira et on n'entendra sans doute plus jamais parlé d'elle. Là au moins on sait ou la trouver régulièrement, et comment la soigner si besoin est…".

En Russie en effet, les enfants séropositifs sont placés à part, dans des orphelinats qui leur sont « réservés ». Charmant n'est-ce pas !? Cette discrimination clairement affichée par le gouvernement, qui interdit même aux enfants séropositifs de suivre une scolarité normale ! Les enfants de mères séropositives sont gardés en « observation » (je ne suis pas avar de guillemets dans ce chapitre. C’est la Russie, il faut toujours prendre ce que l’on nous dit avec des pincettes). Une mise en observation qui dure jusqu'à l'âge de 18 mois, afin que les autorités s'assurent que le bébé ne présente aucun signe d'infection au VIH (les tests dits de dépistage rapides sont trop couteux).

 

Il semblerait que ce soit là l’un des autres aspects de cette problématique posée par les enfants du Sida en Russie : je veux parler de la sérophobie et de la discrimination envers les personnes séropositives au VIH/Sida. Effectivement, la séropositivité des enfants est dans la majorité des cas liée à la toxicomanie et la prostitution : celle des mères puis celle des enfants eux-mêmes. La boucle est bouclée. C'est un cercle vicieux qui ne sera définitivement brisé qu'au moment où le gouvernement russe décidera dans un premier temps, d'entamer une étude d'envergure nationale afin d'étudier sans la nier cette problématique. Dans un second temps, il faudra prendre sans tarder les mesures nécessaires à lutter efficacement contre la propagation du Sida parmi ces populations. Il faut certes insister sur l'éducation et la prévention. Mais il faut également promouvoir la distribution de seringues gratuites, afin d'éviter à ces enfants d'utiliser des seringues usagers. Il faut des programmes de sevrage et de distribution de produits de synthèses, remplaçant les drogues durs au niveau des neurorécepteurs de ces gosses ! Aujourd'hui des produits de synthèse comme la méthadone par exemple, ne sont pas autorisés sur le territoire russe (ils sont « dealés » au marché noir, comme tout le reste).

 

Voilà, telle est la situation telle que j’ai pu l’observer en Russie. Toutes ces données sont sujettes à caution, je le répète. De fait, en Russie les statistiques sont difficiles à établir. Je reste persuadé que chacun fait de son mieux étant donné la situation actuelle, y compris le gouvernement russe. Pourtant nous sommes encore très loin du compte.

Et comme les images sont souvent plus éloquentes qu’une pléthore de chiffres, j'aimerais conclure en illustrant concrètement mon témoignage. Dans les lignes qui vont suivre, j’aimerais insister clairement sur le fait que les choses ne se résorberont par elles-mêmes. Que si rien n'est entrepris au niveau nationale, la Russie connaitra d'autres générations encore de ces enfants affectés et infectés par le Sida et tous le autres maux du monde ou presque.

Nous sommes donc le dimanche 26 octobre 2008, je me rends au nord de Saint-Pétersbourg dans un quartier nommé Pionerskaya (les petits pionniers). A la sortie du métro, il y a une sculpteure en bronze. Elle représente ces enfants idéalisés par des générations de communistes en culottes courtes. Des enfants dont le quartier porte le nom. Filles et garçons, leur compagnon est un cheval : symbole de la conquête d'un pays aux étendues étourdissantes. Les personnages de cette scène d'allégresse courent vers un avenir radieux, le sourire aux lèvres et les bras tendus vers le ciel.

Ce soir il fait froid, il pleut à grosse gouttes. La pluie semble être l’un des invariants de cette ancienne région marécageuse que fut il y a longtemps cette ville de Pierre le saint. Là, j’ai rendez-vous avec un jeune homme de vingt-six ans, ancien enfant des rues toxicomane, que nous appelleront Dima. C’est lui qui coordonne l’action des volontaires de l’association pour laquelle il travaille. Je connais déjà Dima pour l’avoir interviewé il y à quelques jours de cela. Il est accompagné par Katia Israël, une jeune femme de vingt deux ans née à Dallas au Texas, étudiante à Saint-Pétersbourg et volontaire pour porter secours et assistance à ces enfants des rues. Elle parle déjà un russe impeccable, elle nous servira d’interprète.

Une fois les présentations faites, nous marchons et nous marchons encore. C’est le meilleure moyen selon Dima d’aller à la rencontre de ces groupes d’enfants des rues, qui pour la plupart ne se laissent que très rarement approché, même par les personnels associatifs qui sont censés leur venir en aide. Nous marchons ainsi durant plus d’une heure, dans la boue des terrains vagues de ce quartier qui ressemble étrangement à ma Seine-Saint Denis d’adoption : des tours de béton et des tours encore, à perte de vue. Dima se veut rassurant, du moins je le pense : « c'est parfois dangereux ici, à cause des dealers. Ce sont les plus âgés des enfants, ils ont entre seize et dix-huit ans. Si je vous dit de courir, courez". Oui, tout cela est très rassurant en effet. De toute façon, courir ici c'est impossible. Et toute cette boue !

Une jeune adulte de vingt ans acceptera finalement de nous parler de sa vie dans la rue où elle vit depuis ses treize ans. Elle est accompagné de l’une de ces amie, ainsi que de sa jeune fille Alina, âgé de trois ans à peine. Nous leur offrons un dîner durant lequel nous bavardons de manière assez informelle sur la façon dont elle a accouché de son bébé dans une clinique et non dans la rue. Cela a été possible, notamment grâce aux programmes de préventions contre la transmission de la mère à l'enfant, mis en place par certaines associations. Alina est en pleine forme ! Elle n'a aucune des maladies dont sa mère est porteuse. Elle est magnifique ! Elle a des yeux verts qui lui mangent le visage, des joues roses bien pleines qui prouvent qu’elle mange à sa faim (la malnutrition au moins n’est pas un problème pour ces enfants qui trouvent toujours de la nourriture auprès des nombreuses Organisations Non Gouvernementales qui s’occupent de cette partie là du problème).

J'aimerais vous montrer une photo que j'ai prise de ce petit enfant des rues :


Qui pourrait la différencier d'une autre enfant de son âge ? C'est-un-ange ! Extrêmement vive d'esprit, de toute évidence sa mère l’adore et la choye.

Ce sont là ce qu'on appel pudiquement des "familles de la rue", comme il en existe des milliers d'autres. Et encore est-ce là une famille avantagée si je puis dire, puisque bien que le jeune père soit en prison, Alina et sa mère n'habitent pas un squat comme la plupart des enfants des rues. Elles logent dans un taudis qui appartient à la grand-mère D'Alina : une femme alcoolique qui chaque mois exigent d'eux de l'argent pour les héberger (c’est ce que nous en dit la jeune mère, du moins). Un tableau sombre, triste, à la limite du sordide. Je ne pose pas de question, j’encourage tout juste leur témoignage. Je ne veux pas jouer au voyeur.

Alors est-ce là un monde qui donne envie d'y vivre !?

Certainement pas en ce qui me concerne personnellement. A ce propos, je me permettrais de paraphraser le chantre de la négritude Aimé Césaire, en disant qu’une humanité qui n'est pas en mesure de résoudre ses problèmes, une humanité qui laisse mourir ses enfants alors que les solutions et les traitements sont disponibles, est une humanité décadente. J’aimerais que cette initiative contribue à faire en sorte que cet état de fait évolue de nouveau vers plus d’humanité.

 


Personnellement, je sais qu’au final ce passage en Russie me sera bénéfique. Dès avant mon départ, j'ai su que je reviendrais changé, autre de ce périple au bout du monde. J'entrevois aujourd'hui, tout juste du bout de l'esprit, quelles en seront les conséquences sur moi. J’ai la représentation d’une mer houleuse. En surface les vagues sont pleines d'écumes, soumises qu'elles sont à des émotions difficiles à intégrer au schéma générale. Toutefois, lorsque mon regard se tourne vers l’intérieur, plus j'introspecte et plus je sens le calme, la sérénité, l’acceptation et la promesse d’une détermination tranquille.

C'est paradoxal, pourtant je n'ai jamais été en mesure de voir aussi claire, aussi profondément en moi. Tel un enfant de la mer, je suis parfois triste de constater que la plus importante part de moi ne sait plus vivre qu'en profondeur. Dans une certaine mesure, ce voyage me permet d'extérioriser des affects qui n'avaient de toute évidence pas été totalement résorbés depuis plus de dix ans. J'ai l'impression d'être en mesure de refuser, dans une certaine mesure, de vivre dans ce monde que l'on m’a proposé et souvent imposé au quotidien.

Parfois je marche dans la rue et j'en ai des vertiges. Je ne peux vivre que l'essentiel. Voilà, c'est exactement ca ! Le fameux principe du « rasoir d'Occam ». Aujourd’hui, plus qu’aucun autre jour, je pense avoir saisi l’étendue de ce principe qui prône l'économie du superflu. Aujourd’hui, je sais que cela n’est pas un simple principe philosophique, c'est une nécessité. C'est très probablement aussi l’une des raisons principale pour laquelle j'ai entreprit tout ceci : ne pas perde de temps, me consacrer à l'essentiel. Afin d'extirper de moi l'usurpateur, l'homme intéressé et vénal que je pourrais devenir un jour. Un homme pour qui la fin justifie les moyens. Alors que ce qui compte en vérité ce sont les nobles fins.

Voilà, c’est dit. J’ai posé ces mots là face à vous. Qu’allez-vous en faire ? Les mots sont magiques : un mot prononcé permet de faire naitre en Autrui des représentations bien déterminées. Un mot permet de manipuler instantanément l'esprit d'autrui. Le langage est certainement, certainement l'une des plus belles inventions humaines ! Une invention unique, copiée à foison par tous les peuples de la Terre. Mais les mots enferment, disent les psycholinguistes.

Oui, le langage travesti la réalité. Il rogne leurs ailes à nos pensées, à nos idéaux. Je n'en dirais donc pas plus sur les rêves que je porte en moi aujourd'hui. Je garde pour moi l'espoir secret que l'énergie que je déploie pour venir à bout de cette initiative, sera en partie au moins transmise à ces gosses que je croise sur mon chemin. J'espère que ce jeune Mohamed par exemple, née à « Ghanima » (ou quelque chose comme d’approchant) une petite ville près du Caire en Egypte, saura un jour s'approprier lui aussi son destin. Que jamais lui ne verra son adolescence moissonner à jamais par la faux du Sida.

C’est dans cet état d’esprit que je quitte la Russie, un pays qui ne cessera de me questionner. Comme je le disais à autre des rares occupants russe de l’auberge de jeunesse de Saint-Pétersbourg : « vous semblez avoir eu un glorieux passé et vous aurez sans doute un grand avenir. Cependant, vous semblez encore cherchez votre présent ». N’en sommes-nous tous pas là, en quelque sorte ? La Russies est un pays dur où il ne fait pas « bon vivre », c’est le moins qu’on puisse dire. Toutefois, tout n’est pas noir. Les gens d’ici peuvent être très attachants. Les tenanciers de l'hôtel où j'ai passé plus de 3 semaines à Saint-Pétersbourg me manqueront, par exemple. Mon dortoir, mes bonnes crêpes chaque matin au petit-déjeuner. N’est-ce pas étrange comme l’esprit humain semble ainsi prédisposé à s'habituer à son environnement quotidien. A l'habitude suit l'attachement. C'est parfois une bénédiction lorsque l'on a la vie de « monsieur tout le monde. Seulement, cela n'est pas toujours possible. Ludovic le français, a-t-on pris l'habitude de m'appeler ici. Eh bien le français quitte aujourd'hui sa patrie l’Europe, pour les hauts plateaux du Caucase. Enfin !

 

Nous sommes le jeudi 30 octobre, il est 16h40. Je laisserais bientôt la Russie derrière moi, du moins c’est ce que je pensais. Je prends le train vers le sud, en direction du Kazakhstan. Mon colocataire de cabine est un homme d'un certain âge. Il boit beaucoup, parle peu et devrait faire plus souvent usage de savon, de déodorant et de bien... bien d'autres choses. Mais dans l'ensemble il est plutôt sympathique. Nos voisines de cabines pour leur part sont deux mères de familles accompagnées de leurs deux fils. Elles redescendent de Saint-Pétersbourg après avoir fait poser à leur enfant un implant cochléaire à l'institut Laurniy (un implant cochléaire est une sorte « d’oreille » artificielle). Cela n'est pas sans raviver en moi bien des souvenirs d'études universitaires que je viens à peine de terminer ! Tout cela est pourtant si loin de mes préoccupation actuelles.

Notre train traverse tous le pays depuis l'extrême nord ouest, jusqu'au sud est. Ce ne sont que d'immenses forêts à perte de vue. Par le fenêtre le soir venu, je prends le temps d'admirer le ciel étoilé. Je n'avais plus vue autant d'étoiles depuis neuve ans exactement. Nous étions dans l'arrière pays toulousain, avec un ami dans la ferme de sa famille. Aujourd'hui je suis à des milliers de milles de tout cela. Et tout là-bas aux confins de la Russie, c'est le grand Oural : ce fut des siècles durant la limite géographique naturelle de l'Europe. Et pour moi, c’est la première la première fois que je quitte l’Europe en train !

Aux abords des rails, les forêts sont de plus en plus clairsemées. Puis, elles finissent par céder leur place à d'immenses steppes arides et jaunes. C'est ainsi que 48 heures après notre départ, nous franchissons arrivons à la frontière, coté russe. Là il y a un problème. En effet, afin de récolter le maximum d’informations, j’ai repoussé mon départ de Saint-Pétersbourg jusqu’au dernier moment (la plupart des personnes que je devais absolument voir, n’étaient pas disponibles avant). Je tentais de me rassurer en me disant que notre train descendrais plein sud vers le Caucase, avant de traverser tout le Kazakhstan de l’Ouest vers Astana, la grande ville du l’Ouest. Dans ces conditions là, nous serions sortis de Russie avant l’expiration de mon visa.

Bref, j’ai dépassé mon visa de près de quarante-huit heures et cela n’est semble-t-il pas du goût de notre l’ami douanier. Il est accompagné d’un brigadier et il me dit gentiment mais fermement, qu’il faut que je descende du train et le suive au poste frontière. Je ne comprends rien à ce qu’il me dit en russe, ou plutôt j’ai peur d’avoir trop bien compris. Il fait alors appel à l’une de ses collègues qui elle parle un anglais parfait. Elle m’explique toujours aussi calmement, à l’aide d’un talkie-walkie depuis son bureau, qu’il faut que je la rejoigne. Je range donc toutes mes affaires dans mon sac à dos, sous le regard interloqué des autres voyageurs.

Une fois au poste, m’explique quelle est la procédure à suivre afin de procéder à la prolongation de mon visa. En gros, je dois payer une amende, ça je le savais pour m’être renseigné des risques d’une telle infraction. Je dont je ne me doutais absolument pas, c’est qu’il me faudrait retourner sur mes pas, à cent cinquante kilomètres de là, pour régler cette amende auprès du représentant des autorités locales résidant dans la ville de Tcheliabinsk, le chef-lieu de la région.

Alors… pendant que les douaniers ont le dos tourné et vérifient soigneusement tous mes documents, le brigadier est là, il ne nous a pas quittés d’une semelle depuis le train. Il me fait discrètement mais clairement comprendre dans un anglais très hésitant, que si je lui donne un peu de quoi s’acheter l’une de nos « Rrreunault Syénitch » (le nom d’une voiture française ? En gros il veut de l’argent), il pourrait sans doute m’arranger l’affaire ici-même, sans plus d’autres désagréments. Je ne sais pas ce que je risque pour avoir soudoyer un officier en service. La Russie, je commence à m’en méfier sérieusement. Je fais donc semblant de ne pas avoir compris. La douanière revient vers moi, elle m’explique qu’ils vont me faire accompagner à la gare routière du coin (quelle chance, il y a au moins une gare routière dans ce patelin !). « Faites bien attention à vous en Russie », me dit-elle. « Oui je sais, je suis ici depuis plus d’un mois, ne l’oubliez pas ». Sur ces bonnes paroles rassurantes, salut la compagnie !

 

Une bonne heure après ma descente forcée du train, me voilà donc à la gare routière de cette petite ville, très pauvre, du sud est de la Russie. Le bus sent le gazoil à plein nez, il met trois bonne heure pour rejoindre Tcheliabinsk : une ville de taille moyenne. Je m’attendais à pire. Certes à part la rue principale refaite entièrement à neuf, avec de belle façade bien proprette, le reste est quelque peu sinistré. Mais tout de même, je m’attendais à pire. Je prends le premier hôtel qui me tombe sous la main. Devinez comment s’appel l’hôtel ? « Tchelyabinsk », comme la ville oui. Tout semble propre et refait à neuf. Le prix d’une chambre est deux fois plus élevé que pour une auberge de jeunesse, mais bon. Je continue d’essayer de faire contre mauvaise fortune bon cœur.

On me montre ma chambre, tout cela est très bien. Bon alors, bien entendu l’hôtel étant littéralement enchâssé entre la gare routière et la gare de chemin de fer, on entend assez distinctement les haut-parleurs qui renseignent les voyageurs sur les prochains trains en partance. Mais tout cela n’a pas raison de mon sommeil. Je suis physiquement exténué et moralement assez limite. Je dors du sommeil du juste, du moins jusqu’à 3h du matin. Là c’est branle bas le combat ! Les femmes de chambres frappent à toutes les portes : alerte à la bombe dans la gare, on évacue tous le monde y compris notre hôtel. Nous voilà donc dehors de trois heures à cinq heures du matin, sous une pluie battante, un vent glacial qui ne nous laisse aucun répit ! Les conditions météorologiques idéales pour attraper une bonne crève. J’ai du mal à y croire moi-même. Mais cahin-caha, tout finit par rentrée dans l’ordre et nous regagnions nos chambres, frigorifiés.

A huit heures du matin, une femme de chambre frappe de nouveau à ma porte. J’ai une envie de meurtre ! Mais, non. Au lieu de succomber à la tentation, je me lève du lit comme un mort s’extirperait d’un cercueil : le corps endolori et l’esprit embrumé. La femme de chambre me rappel que je dois vider les lieux d’ici quarante cinq minutes. Là non plus, je n’y crois pas. Je hausse le ton. Elle me demande instamment et pas du tout cordialement d’adresser mes doléances à la réception. Ce que je fais. C’est là que l’on m’explique tant bien que mal que j’ai réglé la chambre pour douze heures. Je ne pose plus une seule question. La Russie, je commence à connaitre. Je remonte dans ma chambre pour me doucher rapidement. Je libère la chambre et place mes affaires en consigne à la gare de chemin de fer. Je passe le restant de la journée à errer dans Tchalyabinsk, à la recherche d’un autre hôtel moins cher et plus accueillant.

Rien à faire, tous les hôtels de la ville sont complets pour ce long week-end de fête nationale ! Ce qui signifie non seulement que je vais devoir retourner ce soir à l’hôtel de la gare, pour douze heures pas une de plus : demain ce sera rebelote. Je vais errer dans les rues de cette ville où il n’y a rien, absolument rien à faire ou à visiter. Cela veut dire aussi que je vais devoir attendre mercredi matin, si tout va bien, pour voir les administrations ouvrir leur porte et obtenir le sésame qui m’est nécessaire pour franchir la frontière.

C’est un cauchemar. Je suis épuisé, déprimé. Je comprends de très loin ce que cela peut être de ne pas avoir de chez soi dans un pays aussi tranchant. Je touche du bout doigt ce que peut être la vie de ses centaines de milliers d'enfants des rues en Russie. Comment ne pas succomber à toutes formes d'autodestruction lorsque l'on est soumet à ceci !? Cette « Balshaya Russia », comme l'appel ici encore certain nostalgique de cette mythique et grande Russie.

Pour ma part je suis comme sonné par ces évènements que je ne parvenais pas à digérer, déjà à Saint-Pétersbourg. On peut dire que là c’est le pompon. Dans la rue c’est étrange, je passe devant l’affiche publicitaire faisant la promotion d’un film en arabe. Ce film s’appel « ghouraba ». Un mot qui en arabe peut signifier quelque chose comme en terre étrangère. Il est vrai que depuis mon départ, je ne m’étais pas senti aussi seul. Je reconnais l’état émotionnel dans lequel je suis : en stase, rien ne bouge, j’aimerais être en mesure de ne penser à rien. Je redouble d’efforts pour me vider l’esprit et simplement accepter le moment présent comme une fatalité contre laquelle je ne peux rien. Rien à faire cependant, je repense tout de même à Alina, ce petit ange des rues de Saint-Pétersbourg. Qui seras-tu dans 10 ans, ma petite Alina ? Ceci n'est peut-être qu'un au revoir. Car comme Françoise Chandernagor l’a si bien exprimée : 

« Nous avons perdu l’espoir et nous voulons croire encore »

 

 




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